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mouvement gigantesque, plus grand que celui qui a précédé et produit la Réforme. Mais il n’y a rien de neuf dans les idées qui sont au fond de ce mouvement, et aucune réconciliation n’est possible entre la pensée libre et l’autorité traditionnelle. L’une ou l’autre aura à succomber, après une lutte d’une durée inconnue, et qui aura pour résultats accessoires de vastes transformations politiques et sociales. Et ce sera la pensée libre qui finira par vaincre : j’en suis aussi certain que de ma présence devant cette table ; et je suis certain aussi qu’elle s’organisera en un système cohérent et total, embrassant la vie et le monde dans un harmonieux ensemble.


Aussi Huxley n’avait-il pas assez de colère contre ceux qui s’opposaient à ce « mouvement gigantesque, » ni assez de mépris pour ceux qui doutaient de son importance. Sa vie, désormais, n’était plus qu’une bataille. Il allait, dans sa ferveur darwiniste, jusqu’à discréditer la logique de Bacon, lui reprochant d’être absurde et malfaisante, parce qu’elle condamnait les grandes hypothèses. Au lieu de ses anciens « mémoires » sur les ascidiens et les crustacés, il publiait à présent des Sermons Laïcs : et, même quand il avait à faire des communications à des sociétés savantes, il prenait pour sujets des questions comme : Les Grenouilles ont-elles une âme ? ou bien il se livrait à un examen critique des Preuves du miracle de la résurrection. Il se plongeait dans la lecture des grands philosophes, Spinoza, Hume, Kant, non pour pénétrer l’essence de leur doctrine, mais pour établir que, d’après leurs argumens, l’immortalité de l’âme était une hypothèse à jamais gratuite. Et, dans toutes ses conférences, dans tous ses essais, dans toutes ses lettres, on retrouve l’écho du cri de guerre poussé déjà, cent ans auparavant, par un autre agnostique : « Écrasons l’infâme ! » Le dogme chrétien lui paraît insensé, la morale chrétienne, tout à fait inutile. « Je ne suis pas optimiste, écrit-il, mais le cours naturel des choses, à mon avis, est entièrement juste. Plus je pénètre dans la vie des autres hommes, pour ne rien dire de la mienne, plus je vois que le méchant ne prospère pas, et que le bon n’est pas puni. Nous devons seulement nous rappeler que les récompenses de la vie concernent l’obéissance à la loi tout entière, physique aussi bien que morale, et que l’obéissance morale ne rachète pas le péché physique, ni inversement… La nature est plus juste que le meilleur des hommes : sa justice absolue est, pour moi, un fait scientifique d’une évidence parfaite… L’unique vérité morale, c’est la science qui nous l’enseigne, avec une force et une beauté dont aucun dogme religieux ne saurait approcher. » Il écrit cette profession de foi au lendemain de la mort d’un de ses fils, et en réponse à une lettre du pasteur Charles Kinsley, — le célèbre auteur d’Hypatie, — qui s’est permis de lui rappeler les principes consola-