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REVUES ÉTRANGÈRES.

membrane de la méduse, ne songe plus désormais à rien découvrir : sa dernière découverte a été le Bathybius. Et ses amis ne l’engagent plus, comme autrefois, à revenir aux recherches d’histoire naturelle : ils se servent de lui comme d’un porte-parole, et tantôt c’est Tyndall qui l’engage à une polémique, tantôt c’est M. Spencer qui, pris à partie dans une revue, lui écrit : « Vous qui avez du loisir, profitez donc de cette occasion pour vous laisser aller à vos instincts combatifs ! » À un jeune savant, qui l’interroge sur un point de détail, Huxley répond : « Je suis si peu au courant des derniers progrès de la science que j’hésite fort à aborder une question morphologique tant soit peu compliquée. » Le savant de jadis a disparu : Huxley n’est plus qu’un darwiniste.

Veut-on savoir comment il l’est, et, d’abord, quelle est à présent son opinion sur Darwin lui-même ? « Je n’entends point rabaisser la place de Darwin dans l’histoire des sciences, — écrit-il, en 1882, à Romanes, — mais je suis porté à penser que Buffon et Lamarck lui sont bien supérieurs à la fois en génie et en importance. Pour la largeur des vues et l’étendue du savoir, ces deux hommes sont des géans. Von Baer, Cuvier, J. Muller sont aussi de grands hommes. Quant à Darwin, il avait une intelligence claire et rapide, une bonne mémoire, une imagination vive ; et sa grandeur vient de ce qu’il a su toujours subordonner tout cela à son amour de la vérité. » Six ans après il écrit : « L’exposition n’était pas la partie forte de Darwin, et son style est parfois invraisemblable : mais il avait une sorte d’instinct sourd qui le poussait dans le bon chemin. »

Mais si son estime pour Darwin a beaucoup baissé, comme aussi son estime pour M. Spencer, — qu’il réfute à toute occasion, et appelle son « ex-ami, » rien n’égale son mépris pour les nouveaux darwinistes, « ces philosophes de papier qui s’efforcent de grimper sur les épaules de Darwin pour paraître plus grands que lui, tandis qu’en réalité ils ne seraient pas dignes de cirer ses bottes. » Et sans cesse il se plaint de ce qu’on adopte désormais les doctrines de l’Origine des Espèces avec autant d’irréflexion qu’on les rejetait vingt ans auparavant.

Lui-même, cependant, proteste de son attachement à ces doctrines dont il a été « l’agent général », ou encore « le bouledogue ». Il continue à croire qu’une découverte va venir, qui va leur donner enfin une base positive. Il écrit, en 1885, que, « si Romanes parvient à démontrer la façon dont la sensation évolue pour se transformer en intelligence, il sera l’homme que lui, Huxley, attend depuis des années. » Mais Romanes, ni personne, ne parviennent, à rien démontrer de ce