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beautés d’une prairie en fleurs, et par la grâce des herbes et des floraisons, par la délicatesse avec laquelle il sait exprimer le lustre et les fines nervures des feuilles d’un figuier, il essaie de faire naître dans l’esprit du spectateur l’admiration qu’il ressent lui-même en présence d’une magnifique végétation.

Avec l’Adoration des Mages, Léonard abordait ensuite un des sujets alors le plus en vogue chez les peintres, car il leur fournissait l’occasion de déployer dans cet épisode pittoresque tout le luxe, tout l’apparat d’un cortège aux costumes éclatans. Pourquoi ne pas le reconnaître, l’artiste est tombé là dans un des travers contre lesquels il s’efforcera plus tard de prémunir ses confrères : celui de faire parade de leur science et de leur habileté. En nous montrant dans le lointain le tumulte d’une foule affairée, avec des chevaux qui s’échappent ou se cabrent, et surtout en disposant au centre même de son tableau l’escalier qui y occupe une si grande place et ne conduit à rien, — tout comme s’il s’agissait de résoudre ainsi un problème de perspective — il a rompu l’unité de son œuvre et détourné l’attention de l’épisode qui devait en faire le principal intérêt. En revanche, cet épisode lui-même, avec quel art et quel charme il l’a traité ! Autour du pauvre ménage et du petit Jésus qui vient de naître, toutes les formes de l’adoration sont réunies, et, mieux qu’on n’avait fait jusque-là, le maître a compris quel puissant commentaire peut prêter à la vive expression d’un sentiment le groupement de tous les sentimens similaires qui ajoutent à sa signification. La nombreuse série des dessins exécutés pour ce tableau nous montre, en effet, avec des attitudes et des physionomies variées de la façon la plus délicate, les diverses impressions de respect, d’étonnement, d’amour et de prière que, suivant la nature de chacun des assistans, la vue de l’Enfant divin produit sur eux. Cette répétition ingénieusement nuancée de sentimens qui se complètent et s’expliquent les uns les autres, agit avec force sur l’âme du spectateur, à la manière de ces argumens pareils, mais présentés sous des aspects divers, par lesquels l’orateur fait pénétrer sa pensée dans l’esprit de ceux qui l’écoutent.

De plus en plus Léonard marchera désormais dans cette voie, supprimant ce qui lui paraît inutile ou même indifférent, pour insister sur ce qui est essentiel. C’est surtout en exprimant les mouvemens spontanés de l’âme, il l’a reconnu, qu’il peut entrer en communication avec le public et l’intéresser. Aussi ne