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nuancent leurs sentimens des mêmes teintes et considèrent la vie du même angle. De l’adolescent qui compose son premier devoir de style à l’écrivain déjà mûr qui se publie dans une grande revue, seule l’élégance des combinaisons diffère, mais ils travaillent tous les deux sur la même réserve de sensations, d’images, d’idées. Le ministre de l’Instruction publique, l’aimable marquis Saionji, m’avait envoyé un certain nombre de copies d’élèves, filles et garçons. Les premières traductions que mon secrétaire m’en donna me surprirent au point de me faire suspecter la bonne foi des maîtres. Je n’avais point accoutumé de rencontrer chez des enfans un sens si délicat de la nature, un choix si heureux du détail. Un bambin de dix ans qui avait à traiter de La neige le matin écrivait : « Les arbres dépouillés ont fleuri pendant la nuit. Le monde argenté scintille. Les chiens joyeux, lâchés à travers la cour, caracolent et s’ébrouent, dans la neige, et je sors monté sur des échasses de bambou. » — Un autre, plus âgé, parlait du lever de la lune sur le mont Obasute. « La lune est mélancolique, disait-il : elle rappelle aux voyageurs leur jardin désert et leur maison lointaine. On peut dormir sous sa fraiche lumière, qui croît et décroît comme le symbole de notre vie. Et cependant l’empereur Godaigo, proscrit et fugitif, lorsqu’il la vit rayonner sur la mer, s’écria : La lune n’a pas de cœur ! » — Une fillette de douze ans comparait le mont Fuji à un éventail entr’ouvert, suspendu par son manche à la voûte céleste. Une de ses compagnes peignait ainsi la venue du printemps : « Le ciel matinal se voile d’un léger brouillard couleur de la fleur du pêcher. Les oiseaux chantent et déjà les saules mariés aux fleurs ceignent la ville d’un brocart d’or. » J’aurais cru que le professeur avait retouché ces devoirs, si journaux, poésies, contes, chansons, et mes entretiens mêmes avec les Japonais, ne m’avaient rapporté à chaque instant lies mêmes réminiscences et les mêmes métaphores. Les enfans naissent avec l’instinct de ces images et, toute leur vie, logeront leurs pensées et leurs rêves dans ces nids ingénieux, et définitifs, où c’est à peine si les générations ajoutent quelques fils de soie brillante.

Nous connaissions une dame japonaise qui nous accompagnait souvent dans nos promenades. Le lendemain d’un jour où nous avions visité le parc d’Uyéno, elle nous adressa une poésie sur un papier dont la couleur mauve répondait au mois de l’année : « Il est charmant, disait-elle, de passer et de repasser sous les