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bizarre, pas de fête privée vraiment élégante, sans distribution aux journaux de la notice explicative du plaisir que l’on a goûté.

S’amuser n’est pas tout ; l’important est d’en informer les autres, de leur faire connaître ses toilettes, ses relations, le menu de sa table, les cadeaux donnés à ses enfans à l’occasion de leur mariage. Cette préoccupation du dehors, cette tendance à faire passer la rue au travers de son home, témoigne d’un goût universel de plein air. Le souci que les particuliers ont de se manifester, d’afficher leur situation, leur mérite ou leur personne, dans un monde où les rangs, devenus obscurs, sont par suite plus âprement disputés, procède du même sentiment que celui qui pousse le négociant à prôner sa marque de fabrique, pour n’être pas éclipsé, dévoré par la concurrence.


I

Sentiment aujourd’hui si familier, dans tous les milieux, que parfois des publicités d’ordre composite, très différentes dans leurs buts, se prêtent un mutuel appui : n’avons-nous pas vu, sur toutes nos murailles, s’étaler naguère le portrait, grandeur nature, d’un illustre homme d’Etat avec un verre de liqueur en main ? L’ingénieux propriétaire de cette liqueur et l’éminent personnage dont il exhibait ainsi les traits augustes, trouvaient chacun leur compte à celle combinaison : d’un en vulgarisant son image, l’autre en y associant sa boisson nouvelle.

Cette publicité à double effet fut grandement perfectionnée par l’inventeur d’une autre drogue, qui, lui, ne se contenta pas d’accoler à son boniment les portraits des célébrités, mais qui accompagna chacune de ces gravures, fort bien exécutées et groupées en des albums coquets, d’une phrase autographe où les illustres modèles eux-mêmes prenaient soin de vanter, l’un après l’autre, à la clientèle, les vertus de l’incomparable « liqueur Cabassol. » Quel mobile poussa les hommes d’Etat et les écrivains, les généraux et les savans, les archevêques et les acteurs, et toutes les notabilités qui fusionnaient dans celle galerie à collaborer ainsi dans une réclame pharmaceutique ? Ce n’était certes pas la douzaine de fioles du précieux liquide, dont l’inventeur leur faisait gracieusement hommage, qui pouvait les déterminer. Seul le charme contemporain de la publicité, auquel nul n’échappe, même parmi les plus hauts, était en cause.