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La jonction de marchandises hétéroclites donne parfois de bons résultats : un libraire, impuissant à écouler les dix-neuf tomes d’une édition de Victor Hugo, imagina de lier leur sort à celui d’une pendule et de deux candélabres, en offrant, l’un portant l’autre, l’ouvrage et la garniture de cheminée, confondus dans le même éloge : « Géant littéraire, il personnifia son siècle… ; la pendule est en marbre noir, rehaussé de motifs d’or… ; partout où se trouve une intelligence, il y a un livre du grand poète… ; les girandoles et la coupe sont en beau bronze d’art… »

Mais, pour le maniement de la réclame dans les journaux, rien n’égale la pharmacie ; de même que nul, dans la rédaction des prospectus, ne surpasse le commerce des boissons. Tantôt c’est « UNE MERE qui, par reconnaissance, enverra le secret d’un remède infaillible contre la maladie de poitrine, à qui écrira ;… » chaque insertion, se terminant par cet avis : « Conservez l’adresse, elle ne sera pas redonnée. » Tantôt c’est « UNE PERSONNE qui offre gratis le moyen de guérir promptement… » la plupart de nos infirmités, et prend soin d’ajouter que sa proposition humanitaire « est la conséquence d’un vœu. » L’acquittement de ce « vœu, » à raison de 60 000 francs d’annonces par an, serait évidemment ruineux, si son auteur ne tirait, de la vente de ses médicamens, un bénéfice de 75 pour 100.

C’est la proportion du gain, dans cette branche de commerce, qui lui permet de supporter, plus aisément que tout autre, les frais d’une large publicité. Ces pilules, bénigne mixture d’aloès et de jalap, pourvues d’un nom pittoresque par leur inventeur, et cédées par lui aux dépositaires pour un franc, représentent, boite comprise, 0 fr. 20 de débours. On en peut dire autant des tisanes, sirops ou spécifiques quelconques, dont l’un dépense chaque année 500 000 francs, pour raconter dans des faits divers aux titres dextrement choisis — « Une route mystérieuse, » « Quinze jours après, » « La locomotive désemparée » — les cures superbes dues à la merveilleuse panacée.

Innombrables sont les créateurs de spécialités, dont l’objectif est d’atténuer les inconvéniens de saveur ou d’odeur des produits les plus ordinaires de la thérapeutique ; mais, seuls, parviennent à la fortune ceux que guide un barnum émérite. Certaines pastilles dont les annonces atteignirent certaine année 900 000 francs, durent leur succès à l’alliance du simple