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embauchés l’an dernier, à un taux convenable, pour se promener de 7 heures du soir à minuit sur les boulevards, en habit noir et gantés de blanc, portant, étincelante sur leur plastron glacé, une lanterne de poche qu’un électricien voulait mettre à la mode. Dès le second jour, la moitié de ces gentlemen improvisés, filant avec leur toilette, manquaient à l’appel.

J’ignore si leurs collègues, ces pseudo-gandins eu pardessus mastic, qui allaient par bandes de cinq ou six, clamant sur un rythme cadencé les splendeurs du spectacle le plus proche, ont montré aussi peu de délicatesse ; mais la publicité parlée, renouvelée du moyen âge où les crieurs de bains annonçaient par la ville, à certaines heures : « Les bains sont chauds, c’est sans mentir, » ne semble pas appelée à une grande extension. Tout au plus se produit-elle, en quelques théâtres de second ordre, sous la forme d’un dialogue où le personnage, complimenté sur sa bonne mine ou sur son élégance, se vante d’absorber tel remède ou de s’habiller chez tel tailleur.

Ainsi que les placards roulans, les bas-reliefs en carton pâte ou les figures de staf vernies, promenés sur des tréteaux, ont été de courte durée. A ces sculptures mouvantes la marche communiquait un tremblement convulsif, un balancement fâcheux de roulis et de tangage. Sur l’un des balcons de l’avenue de La Motte-Piquet, qu’une agence d’annonces avait affermé, les visiteurs de la dernière exposition, entraînés par le plancher mobile, contemplaient au passage un cornichon de 4 mètres de haut, grâce auquel un fabricant de ces cucurbitacés se rappelait à leur souvenir ; mais ces représentations excentriques sont rares.

Partout où s’arrête la foule, partout où elle passe, l’affiche la suit. Elle s’implante dans les plus beaux sites de l’Europe, au Righi, au Pont-du-Diable, à Schaffouse ; elle macule la façade d’accès du Mont-Saint-Michel ; elle déshonore les chutes du Niagara, sur toute la rive américaine : elle envahit les hauteurs même de l’Himalaya.

Elle s’espace le long des lignes de chemin de fer et se plaît, eu rase campagne, à torturer le voyageur. Le train file, le paysage se renouvelle sans cesse ; vous laissez tomber votre journal pour admirer ce tableau furtif qui s’encadre dans la vitre de la portière. Horreur ! Vingt fois, cent fois de suite, avec une effrayante monotonie, vous apprendrez que tel extrait de viande