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bien loin des projets qu’on prêtait à Pichegru au mois d’août. Les inventions calomnieuses qui ont suivi les premières entrevues se sont effondrées. On ne parle plus de livrer à l’Autriche les places fortes de l’Alsace ni de passer le Rhin. Nous entendons le langage d’un homme politique fatigué du régime qui pèse sur son pays et menace de le perdre, mais non celui d’un traître. Qu’il soit disposé à faire défection à la république, c’est possible. Mais qu’il veuille y employer la trahison, ses paroles le démentent comme sa conduite.

Objectera-t-on que ses premiers projets ont réellement existé et que, s’il y a renoncé, c’est après la journée du 13 vendémiaire (5 octobre), durant laquelle Bonaparte a défendu la Convention expirante, écrasé les sections royalistes, assuré la mise en train de la constitution nouvelle et l’avènement du Directoire ? Alors, nous rappellerons que Pichegru n’a pas attendu ce jour pour marquer sa volonté de remplir tout son devoir de soldat. Dès le mois de septembre, ses actes militaires ont été tels qu’ils rendaient inexécutables les plans que Fauche-Borel et Courant prétendaient tenir de lui, alors même que la surveillance de son entourage et des représentais du peuple ne l’eût pas empêché de les exécuter. Sans doute, Montgaillard a prétendu, à propos des représentans, que Pichegru ne s’en inquiétait guère et qu’au besoin, il les « f….. dans le Rhin. » Mais c’est encore ici un mensonge, une gasconnade de Montgaillard, et, de son propre aveu, Pichegru, lorsque Condé lui a demandé de lui livrer ces hauts personnages, a implicitement refusé en condamnant tout le plan où figurait cette exigence.

A l’appui des considérations qui précèdent, voici une lettre confidentielle de Pichegru à Morean[1] qui ne laisse guère de doute sur ses dispositions. Un journal ayant écrit contre lui, le 15 septembre, pour contester ses talens de général, il répond le 19 octobre : « Je n’avais pas eu la moindre connaissance, mon cher ami, de la diatribe insérée sur mon compte dans la Gazette française du 15 septembre que je me suis procurée sur les indications de ta lettre. S’il était possible d’ajouter à l’attachement que je t’ai voué, la démarche que tu as bien voulu faire à ce sujet ne pourrait manquer de produire cet effet. Mais, depuis

  1. Les lettres confidentielles de Pichegru à son ami sont conservées au Dépôt de la Guerre, où elles furent sans doute envoyées en 1804, après l’arrestation de Moreau, suivie de la saisie de ses papiers.