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utile de séparer notre cause de celle des puissances conquérantes ; il importait de montrer au Négus, par notre attitude même, que nous ne prétendions à aucune part de ses domaines, que nous ne serions jamais des envahisseurs ; qu’au contraire, nous ne souhaitions « qu’une étroite entente et le développement de nos relations d’amitié et de commerce[1]. » Ménélik avait de bonnes raisons de se défier des paroles et des promesses des Européens : il fallait, par nos actes, lui inspirer confiance et nous garder de lui donner de nouveaux sujets d’inquiétude. Il était évident, d’ailleurs, que notre colonie ne pouvait espérer de prospérité que par ses échanges avec les hauts plateaux. Nous restâmes donc confinés sur la côte, satisfaits de resserrer, avec le négus, les liens d’une amitié déjà ancienne et que fortifiait la communauté des sympathies et des intérêts.

A vrai dire, chez nous, malgré les avertissemens des Français qui connaissaient à fond l’Ethiopie pour y avoir longtemps séjourné et qui jouissaient de la confiance du négus, on ne faisait que commencer à apercevoir le rôle que sa situation géographique et l’énergie de ses ha bilans destine à l’empire abyssin dans l’Afrique de l’Est. Vers le temps où fut conclue la paix entre le roi Humbert et Ménélik, alors que les Anglais n’étaient pas prêts à la conquête du Soudan, il n’eût sans doute pas été difficile d’obtenir du Négus le libre passage vers le Nil d’une expédition française partie de Djibouti ; elle eût suivi une route bien comme des négocians du Harrar et du Choa et que, plus tard, le commandant Marchand parcourut, en sens inverse, en deux mois et demi ; elle eut réussi à porter le drapeau français sur les rives du Nil très longtemps avant que les canonnières du Sirdar pussent venir contester notre droit à nous établir dans une contrée abandonnée et sans maître. Dans la pensée qui présida à la préparation de la mission Marchand, l’Ethiopie n’était qu’un facteur secondaire. Le chef de la mission emportait la promesse qu’il trouverait sur le Nil une expédition franco-abyssine, venue d’Ethiopie à sa rencontre et prête à coopérer avec lui, mais l’effort principal devait se faire par la route longue, difficile, et mal comme du Haut-Oubanghi et du Bahr-el-Ghazal.

Néanmoins, la conception et l’organisation de la mission Marchand, vers la fin de 1895 et les premiers mois de 1896,

  1. Lettre du Président de la République à l’empereur Ménélik, 3 juin 1896.