Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dès 1873, les Amis de la Paix, de Paris, protestèrent contre l’exclusion des Allemands ; l’Aménité, du Havre, en 1876, sur la proposition de Santallier lui-même, revint sur une « mesure violente de radiation, décidée dans un moment d’effervescence patriotique, » et adressa aux deux loges allemandes et aux quatorze Frères allemands, qu’elle gratifiait jadis de son amitié, des planches de réconciliation ; aux Hospitaliers de la Palestine, en 1878, un conférencier déclara, avec une désinvolture dont Hubert lui-même fut choqué, qu’il fallait accepter les Allemands dans les loges et « se venger par la plus belle et la plus brillante de toutes les armes, l’intelligence unie à l’instruction ; » et le Libre Examen, de Paris, en 1881, proclama que la nationalité ne pouvait pas être un obstacle à la fraternité maçonnique. On voyait, il est vrai, la Fraternité des Peuples refuser, en 1883, d’initier un Alsacien, parce que son dévouement à la France était suspect ; mais ces susceptibilités étaient rares. Consulté, vers la même époque, par une loge du Midi au sujet de la réception d’un Allemand, Hubert répondait au vénérable en l’invitant à lire l’exergue de la Chaîne d’Union ; cet exergue portait les mots : « Fraternité universelle. »

En présence de cet irrésistible courant d’harmonie, la politique du Conseil de l’Ordre, rappelée dans une longue circulaire en 1885, fut de laisser aux loges françaises toute liberté. Il considéra que « la réserve officielle qui s’applique aux collectivités ne s’applique point à la personne individuelle des Frères qui appartiennent à ces collectivités. » A vrai dire, ce libéralisme offrait un péril, et le péril n’échappait pas au Conseil de l’Ordre : les puissances auxquelles appartiennent ces Frères, n’ayant aucun lien officiel avec le Grand-Orient, seraient moralement irresponsables de la conduite et de l’attitude que pourraient avoir, dans les loges françaises, les Frères émigrés. Mais qu’importait après tout ? et la crainte d’un tel danger pouvait-elle prévaloir contre les lois inflexibles de l’hospitalité maçonnique internationale ? Au demeurant, le Grand-Orient voulait se souvenir que « la lumière maçonnique est un flambeau et que les nuages qui peuvent momentanément diviser certains rayons de ce flambeau surgissent avec les événemens humains et disparaissent avec ceux-ci. »

Quant à dissiper ces nuages eux-mêmes, on s’en occupait sérieusement et discrètement dans les hauts conseils du Grand-Orient.