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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/339

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roi le joug d’un tyran d’aventure, qui n’est pas même de leur sang ? L’argument trouvait faveur auprès de certaines portions de la classe élevée et moyenne. Le peuple lui-même était travaillé. Un matin, l’émoi est grand dans le quartier des Halles : « plus de deux mille brochures ont été jetées dans les baquets des marchands de poisson[1]. » Un soir, c’est autour du théâtre des Italiens que les royalistes opèrent ; ils jettent leurs libelles sur le seuil des cafés, sur le pas des portes ; ils en semèrent un jour tout le long de la grande rue du faubourg Antoine. Nuitamment, d’invisibles agens apposaient des placards séditieux dans la rue Martin ; près de la fontaine Maubuée, ils en mirent un sur l’arbre de la Liberté, surnommé maintenant « arbre de misère. » A la fin de nivôse et au commencement de pluviôse, l’effort royaliste, sans remuer sensiblement la population, se multiplie de tous côtés et perce. Même, Hyde et ses amis, avec une intrépidité juvénile, osent tenter une manifestation éclatante, planter leur drapeau en plein Paris, à deux pas des Tuileries, dans le dessein de donner une commotion aux esprits et peut-être de provoquer un mouvement.

Le 2 pluviôse-21 janvier, — jour anniversaire de la mort de Louis XVI, Paris, à son réveil, apprit avec stupeur que le portail de l’église de la Madeleine avait été tendu, pendant la nuit, de draperies noires. Le haut du décor portait, parmi des fleurs de lys, un appel à la royauté, et le testament de Louis XVI, admirable testament de pardon, fixé sur la draperie à plusieurs exemplaires, s’offrait aux yeux. Avant que la police eût pu faire disparaître le séditieux appareil, une foule de curieux accourut au lieu de l’exhibition ; quelle que fût leur opinion, sensibles avant tout au courage, ils ne pouvaient s’empêcher d’admirer l’audace extraordinaire de l’acte ; ils trouvaient cela beau d’adresse, beau d’insolence, et s’amusaient du bon tour joué à la police. La sensation fut assez forte et se propagea dans divers quartiers ; sur le portail de Saint-Merry, à Saint-Jacques la Boucherie, des insignes de deuil et de royauté avaient été également apposés. Dans les endroits publics et les promenades, un assez grand nombre de femmes parurent en robes de deuil et arborèrent à leur chapeau des plumes noires.

Les auteur du mystérieux forfait demeurèrent introuvables.

  1. Rapport de police du 16 pluviôse. Archives nationales, AF, IV, 1329.