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le lecteur français, qui pourrait s’y tromper, que ce n’est pas de nous qu’il s’agit en ces pages véhémentes ; quelles sont à peu près, — sauf quelques abréviations, — traduites de M. le docteur Siliprandi ; et que tel est le tableau qu’il trace, non de la France, mais de l’Italie contemporaine. Tel est ce tableau ; ou plutôt telle est l’esquisse du tableau, car, plus loin, l’auteur le reprend, en recharge les lignes, accuse les reliefs, accumule les touches ; c’est le sujet d’un nouveau chapitre vers la fin de ses trois gros volumes, et voilà, du coup, deux cents pages encore, toutes les deux cents dans le même ton. Au premier aspect, il semble que la couleur en soit bien noire ; si noire que nous eussions hésité à en donner une reproduction même atténuée, si, pour notre malheur, la description ne s’appliquait à nous tout aussi bien qu’à nos voisins, si cette peinture faite d’après eux n’était comme notre propre portrait, et si les vérités qui leur sont dites n’étaient pas autant les nôtres que les leurs.

Ne croyez pas au moins que vous ayez affaire à quelque philosophe ou moraliste chagrin, de ceux qui voient toujours le monde et les hommes en laid, qui ne sont contens de rien, ni de personne, ni d’eux-mêmes, qui boudent et maugréent, enragent et bougonnent du matin au soir. Oh ! que non pas ! « Moi, s’écriait un jour devant nous un de ces écrivains qu’on est convenu d’appeler des « humoristes, » je n’ai qu’une qualité, mais je l’ai bien : je suis gai ! » et il disait cela, — ironie ou naïveté, — d’une voix sépulcrale et d’un air lugubre. De même, M. Siliprandi nous conte des choses sinistres, mais il a soin de nous prévenir qu’à son ordinaire il est gai ; et si donc il ne l’est plus quand il nous parle, c’est que les choses dont il nous parle dégagent véritablement de la tristesse. « Pendant une campagne électorale, nous confie-t-il, — et chacun sait que ce ne sont pas des soirs délicieux, — dans un moment où tant de passions s’agitaient furieuses autour de ma pauvre personne, un ami me disait : « Ce que j’admire en toi, c’est que tu vois et que tu goûtes toujours le côté plaisant de tout ce qui arrive et qui mettrait tout autre de la plus détestable humeur. » Le secret de cette parfaite égalité d’âme, M. Siliprandi ne se fait pas d’ailleurs prier pour le livrer : « J’ai pris une part très active au mouvement politique et administratif du milieu dans lequel j’ai vécu, et j’ai feint même, par nécessité, de m échauffer beaucoup, de me prononcer avec une grande énergie ; j’ai, des années durant,