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et, comme telle, comparée à la lance d’Achille, laquelle guérissait elle-même les blessures qu’elle avait causées ; la bonne liberté, confiante en l’excellence naturelle de l’homme et réalisant pleinement l’harmonie sociale par le plein épanouissement des individus ; tout cela n’était que du bric-à-brac romantique, parce que rien de cela ne correspondait à aucune espèce de réalité ; et tout cela en était si bien, qu’il n’y a presque point d’exagération à reprendre, en la renversant, la fameuse définition de Victor Hugo dans la Préface de Cromwell : « Le romantisme n’est que le libéralisme en littérature, » et à dire : « Le libéralisme n’est que le romantisme en politique. » Libéralisme et romantisme, c’étaient deux fils du même père ou du moins deux petits-fils du même grand-père, Jean-Jacques Rousseau.

Romantisme politique, que de prendre pour la règle ou pour la condition normale du régime parlementaire, applicable dans tous les temps et dans tous les pays, cette rencontre extraordinaire d’un peuple qui, pendant un certain moment de son histoire, semble ne connaître que deux partis seulement, les tories et les whigs ; romantisme, en tout cas, que de croire le phénomène durable et, comment dire ? reproductible à volonté, sans même tenir compte de l’extension du suffrage et sans voir que la division du corps élu en deux seuls partis n’est possible que là où le corps électoral se recrute en une seule et même classe de la société, dont les membres ne sont séparés entre eux que par des nuances d’opinion, nullement par des oppositions d’intérêt. — Et romantisme, d’autre part, que de prétendre fonder le gouvernement sur la liberté, sans réfléchir qu’il y a contradiction dans les termes, et que, les conséquences s’en développant jusqu’à l’extrême, à la limite ou bien le gouvernement ruine la liberté, ou bien la liberté supprime le gouvernement. Mais romantisme encore, de supposer que les hommes puissent vraiment vouloir la liberté pour les autres, ou que ce soit vraiment ce qu’ils veulent pour eux-mêmes, et qu’ils soient tous capables de la connaître et d’en jouir.

Dans la foule des gens qui se réclament d’elle, le plus grand nombre, — il y a déjà cinq siècles qu’on l’a dit, — « ne la veut que pour être tranquille, et le plus petit, que pour opprimer autrui. » Aussi, quand s’élève d’un coin discret, de quelque salon ou de quelque académie, comme un gémissement : « Les libéraux sincères deviennent de plus en plus rares ! » il est poli