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de l’écouter pieusement, mais il est sage de ne s’y point laisser prendre. Les libéraux sincères ne deviennent pas rares : ils l’ont toujours été. Ils ont toujours été des êtres d’exception, comme sont des êtres d’exception, — si même, à l’état d’exception, ce sont des êtres de chair et de sang, — les personnages du drame romantique, et, par exemple, toute révérence gardée, la courtisane à qui l’amour refait une virginité, ou le laquais de génie qu’une reine adore, une Marion Delorme ou un Ruy Blas. Les libéraux sont cela proprement et au pied de la lettre : des vers de terre amoureux d’une étoile ! Ils ont toujours été, et c’est leur destinée d’être toujours, en politique, des héros, des poètes, des saints ou des anges ; mais justement la politique ne se fait pas avec des anges. A mesure qu’augmente la puissance des masses, elle se fait de moins en moins avec des héros ou des poètes, et devant le suffrage universel les saints ne sont qu’en médiocre crédit : ils ne servent qu’à faire des martyrs.

Certes, il vaudrait mieux qu’il en fût autrement, mais tout de même il en est ainsi. On ne conteste pas la beauté de la chimère, mais on est bien forcé de constater la chimère. A persévérer dans ce romantisme, la vertu ne perd pas de son mérite ; mais elle risque de changer de nom, et l’on sait comment le plus réaliste des politiques contemporains qualifiait le libéralisme. Que si les libéraux protestent : « Mais nous ne sommes point, nous autres, des réalistes ! » il leur faut aussitôt répondre : « Aussi n’êtes-vous pas des politiques. » — C’est notre honneur d’être des idéalistes ! — Mais c’est, comme politiques, votre démission, car il n’y a de politique que de la réalité. Tout ce qu’on vous peut accorder, c’est qu’en certains pays, et en France particulièrement, l’idéalisme lui-même est une sorte de réalité, et que peut-être ce serait n’être pas tout à fait réaliste que de n’y être pas un peu idéaliste. Mais il ne saurait y avoir là qu’une question de mesure, et comme de dosage : quelques gouttes d’idéalisme à verser, pour lui donner saveur et couleur nationales, dans une politique dont la base, sans laquelle il n’y a plus de politique, ne peut être que de réalisme. Et non point au delà, et non point le contraire. Une machine se détraque à travailler à vide, et une nation s’épuise à n’étreindre que des ombres. Voiis dites que ces ombres sont divines : eh ! oui, elles le sont ; mais c’est du romantisme, que de suivre des ombres divines pour diriger une politique humaine.