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Au résumé, le romantisme politique consiste foncièrement dans la subordination absolue du fait à l’idée, de l’idée nationale, en quelque sorte concrète, à la plus abstraite des idées générales, et de l’idée elle-même à la fantaisie pure et à la pure rêverie ; dans l’oubli complet des notions de temps et de lieu, dans l’élimination à peu près radicale des données historiques et la multiplication presque à l’infini des hypothèses théoriques ; puis, naturellement, parce qu’il est tout en idée et que l’idée s’exprime par les mots, dans le débordement des phrases et le déluge des formules : d’où le grand mensonge de la parole officielle, la grande fantasmagorie du bavardage d’État, la grande mystification et, à la longue, la grande désillusion ; après le « grand refus, » le grand dégoût. Par-dessus tout, le romantisme est essentiellement individualiste ; l’étant, il est anti-organique incorrigiblement, ou plutôt il est incapable de s’élever à la conception de l’organique ; et l’étant, il est voué irrémissiblement à l’anarchie.

Un n’insistera jamais trop sur ce point : le romantisme politique est une exaltation et une dilatation de l’individu, qu’il met partout, qui seul existe, pour lequel tout existe, et devant lequel tout disparaît. L’État, la nation, la société, ne sont alors, sous divers aspects, que l’agrégat des individus ; leur vie, prise dans l’espace, que l’addition et, dans le temps, que la succession des vies individuelles ; de là ce quelque chose de sautillant, de trépidant, de coupé et d’interrompu, qui fait que l’État semble vivre une série d’instans plutôt qu’une durée continue, et qui paraît frapper comme de syncopes chroniques la perpétuité de la vie nationale. Éminemment et presque exclusivement individualiste, par là inorganique, et par là anarchique, le romantisme politique est donc ce qu’il peut y avoir au monde de plus anti-politique.

Mais, si c’est là le romantisme, s’il est hautement anti-politique, et si, par conséquent, la politique est tout l’opposé, en quoi consiste-t-elle et, par opposition à l’autre, que doit-elle être ? Premièrement, s’il est individualiste, elle est sociale ; s’il n’est pas organique, elle l’est ; s’il fabrique de l’anarchie, elle tâche à faire de l’ordre. S’il croit que l’individu est pour lui seul ou que la société n’est que pour les individus, elle sait que la société est pour elle-même et par elle-même, que les individus sont pour elle, et non pas elle pour eux ; elle qui demeure pour