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dès le 7 septembre, c’est-à-dire quatorze jours avant cette reconnaissance, un traité avait été signée à La Haye entre « Sa Sacrée Majesté Impériale, Sa Sacrée Royale Majesté de la Grande-Bretagne et les Seigneurs États-Généraux des Provinces-Unies, » traité par lequel, n’ayant rien tant à cœur que la paix et la tranquillité de l’Europe, les trois co-signataires se mettaient d’accord pour déclarer qu’ « il ne pouvoit y avoir rien de plus efficace pour l’affermir que de procurer à Sa Majesté Impériale une satisfaction juste et raisonnable concernant ses prétentions à la succession d’Espagne, et, pour le Roi de la Grande-Bretagne et les Seigneurs États-Généraux, une sûreté particulière et suffisante pour leurs royaumes, provinces, terres et pays de leur obéissance et pour la navigation et le commerce de leurs sujets[1]. » La grande alliance était donc déjà reconstituée, et, si c’est aller trop loin de dire, comme le dernier historien qui ait écrit sur ces matières, qu’ « en violant la parole donnée à Ryswick, Louis XIV n’a fait que riposter au coup que lui a porté neuf jours auparavant Guillaume d’Orange[2], « cependant il faut reconnaître avec lui que, depuis Michelet écrivant « qu’à force de sottises Versailles se fit déclarer la guerre, » jusqu’à des écrivains plus récens, nos historiens nationaux ou soi-disant tels ont un peu trop facilement adopté sur ce point la version des auteurs étrangers les plus passionnément hostiles à la France.

Ce qui demeure certain, c’est que, par cette reconnaissance imprudente, Louis XIV vint en aide à son principal adversaire. Il surexcita en Angleterre le sentiment national encore hésitant, et le tourna tout entier contre la France. Guillaume en profita pour accentuer la rupture en rappelant son ambassadeur lord Manchester, et en donnant quarante-huit heures au résident de France Poussin pour quitter Londres, sous peine d’être emprisonné à la Tour. En même temps il saisit l’occasion pour dissoudre le Parlement dont la majorité tory avait été quelques mois auparavant jusqu’à mettre en accusation les ministres

  1. Legrelle. La diplomatie française et la succession d’Espagne, t. IV, p. 170.
  2. Albert Malet. Histoire diplomatique de l’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles, p. 419. En effet, l’agent français à La Haye ne pouvait encore, le 6 octobre, affirmer que le traité fût positivement signé, et il n’en fut envoyé copie que le 15 novembre. (Legrelle, t. IV, p. 251.) Dans le manifeste qu’il crut devoir publier pour justifier, aux yeux de l’Europe, la reconnaissance de Jacques III, Louis XIV parle des armemens de la Hollande et de l’Angleterre, mais il ne fait aucune allusion au traité, ce qu’il n’aurait pas manqué de faire s’il l’avait connu au moment de la mort de Jacques II.