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coupables d’avoir collaboré au traité de partage. La pression et la corruption aidant, il tira des élections nouvelles un Parlement partagé à peu près par moitié, où whigs et tories se disputaient la majorité, mais se réunissaient dans un commun sentiment de haine contre la France. En effet, au mois de janvier 1702, le nouveau Parlement mettait à l’unanimité d’importans subsides à la disposition de Guillaume III pour soutenir la guerre contre la France. C’était payer cher la faute, mais c’est encore Voltaire qui a porté l’appréciation la plus équitable, lorsqu’il a dit, dans son Siècle de Louis XIV : « Il paraît très vraisemblable que l’Angleterre se serait toujours déclarée contre Louis XIV, quand même il eût refusé le vain titre de Roi au fils de Jacques II. »

Nous savons au reste par Saint-Simon que, dès le moment même, l’acte de Louis XIV fut diversement jugé. « Ce ne fut, dit-il, qu’applaudissemens et que louanges. Le champ en étoit beau ; mais les réflexions ne furent pas moins promptes, si elles furent moins publiques[1]. » On savait que les politiques comme Beauvilliers, Torcy s’étaient prononcés contre la reconnaissance et leurs amis désapprouvaient à voix basse. Madame, observatrice souvent sagace, écrivait de son côté : « Dès que je vis ce que notre Roi a fait pour le prince de Galles, je pensai bien que ce serait plutôt nuisible que favorable au jeune Roi et que le roi Guillaume y trouverait son profit[2]. » Mais tous ceux que le sentiment guide de préférence à la raison, séduits par ce qu’il y avait dans l’acte de Louis XIV de généreux et d’un peu théâtral, applaudissaient hautement, et aussi toute la jeune Cour à qui la perspective d’une guerre prochaine n’avait rien pour déplaire. Le Duc de Bourgogne partageait ses sentimens. « Il y a longtemps que je ne vous ai escrit, mon cher frère, disait-il dans une lettre à Philippe V, quelques jours après la mort de Jacques II, et il s’est passé bien des choses depuis. Je suis persuadé que vous aurés été de mesme sentiment que moy sur la reconnoissance du prince de Galles et je ne crois pas qu’un honneste homme pût penser autrement. Aussi cette action a-t-elle esté bien louée ici et des Français et des Anglais. Le prince d’Orange ou le roi Guillaume, comme il vous plaira de le nommer, a ordonné à son ambassadeur de retourner en Angleterre sans prendre congé du Roy, mais on se moque de sa colère et il ne peut pas faire plus

  1. Saint Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 288.
  2. Correspondance de Madame, trad. Jæglé. t. II. p. 248.