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ateliers de Montrouge ou de Montmartre. Une noble émulation les tient de ne pas laisser dans Paris un square, une place, un carrefour, un rond-point, un refuge inoccupé. La sculpture a horreur du vide. Devant qu’une rue soit percée ou un square planté, un monument s’y destine et l’on sait déjà quel héros y sera honoré, quand on ignore si les maisons trouveront des locataires. Les espaces actuellement ouverts sont insuffisans. On a mis des grands hommes partout : on a insinué des acteurs jusque dans des squares suburbains, des encyclopédistes jusque parmi des bureaux d’omnibus, des réformateurs sociaux jusque sur les boulevards extérieurs.

Tout étant occupé et la patrie tenant de plus en plus à honorer ses grands hommes, on les juxtapose comme dans une revue. Au carrefour de l’Observatoire, un explorateur dispute la place au maréchal Ney et l’horizon aux Quatre parties du monde. La longue perspective de la fontaine du Luxembourg est close. L’œuvre de M. Puech offusque celle de Carpeaux. Il y a saturation. Et cependant, à chaque Salon, des files nouvelles de grands hommes rangés sous le vitrage attendent, dans les limbes du plâtre, le moment d’entrer, à leur tour, dans l’immortalité.

En même temps que ce phénomène, si favorable au sculpteur, il s’en produit un autre, qui lui est fort contraire. Si jamais on n’éleva tant de statues à des contemporains, jamais non plus les contemporains ne se vêtirent d’une façon si peu « statuaire, » Le vêtement moderne, depuis Henri IV, mais surtout depuis un siècle, est ce que l’histoire nous offre de plus impropre à figurer dans une œuvre de plastique. Le campagnard un peu artiste, qui se promène dans nos cités, n’est pas moins indigné que le premier chrétien débarquant dans la cité antique. Si ce ne sont pas des faux dieux qui se dressent de toutes parts, ce sont du moins de faux hommes, et il a peine à se persuader que des gens si laids aient pu être si grands. Il y a désaccord absolu entre la prétention que nous avons d’honorer nos héros et les moyens que leur aspect extérieur nous en fournit. Le problème du vêtement contemporain dans la statuaire est donc posé par les faits.

Sans doute, il y a longtemps qu’on a senti ce désaccord. Mais on le résolvait jadis en sacrifiant hardiment un des termes du problème. On sacrifiait le vêtement. On osait habiller d’une toge ou ne pas habiller du tout les héros. « L’habit de nature, c’est la peau, disait Diderot, plus on s’éloigne de ce vêtement, plus on