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John Brown refusa de recevoir sa femme ; il craignait de s’attendrir. Son dernier geste, en se rendant au gibet, fut pour baiser au front un petit esclave, comme s’il lui eût promis la délivrance de sa race.

Le supplice de John Brown fut, avec la publication de la Case de l’oncle Tom, ce qui mit le feu aux poudres depuis longtemps amoncelées et qui n’attendaient que l’étincelle


IV

Thomas Higginson, dès son enfance, avait été aventureux ; rien ne l’attirait autant qu’un bel incendie ; or jamais incendie n’eut plus de grandeur que la guerre où il se jeta, corps et âme, avec un entrain juvénile malgré ses trente-huit ans. On eût dit que l’esprit de son ami John Brown était entré en lui, car dès 1862, il renonça, non sans regrets, au grade acquis dans un régiment parfaitement discipliné, le 51e volontaires du Massachusetts, pour prendre le commandement du premier régiment noir. Nous touchons ici à la partie la plus glorieuse de la vie et de l’œuvre du colonel Higginson. Son livre, Army life in a black regiment, fut traduit, il y a plus de quinze ans, par Mme de Gasparin[1] ; c’est un journal, écrit heure par heure pour ainsi dire, le récit quotidien d’une féconde expérience, celle qui consistait à convertir les esclaves de la veille en soldats. Ce régiment de pionniers devait servir avec honneur pendant quatre ans ; beaucoup d’autres furent formés à la suite, puisque près de 200 000 hommes de couleur marchèrent depuis dans la même voie, où le 1er volontaires de la Caroline du Sud leur avait d’abord frayé le passage.

Le colonel Higginson comprit qu’un problème immense, l’avenir de la race, rencontrerait sa solution sous le baptême du feu. Il fit cette chose assez rare de conformer ses actes à ses préceptes, bravant pour cela les critiques, les railleries de ceux-là mêmes qui servaient la même cause que lui, et assez peu rassuré pour sa part sur les résultats d’une audacieuse entreprise, car s’il avait pu constater des cas isolés de courage chez les noirs, rien ne lui avait encore prouvé leur persévérante énergie. N’importe, il alla de l’avant, soutenu par cette pensée, que lorsqu’une

  1. Vie militaire dans un régiment noir. Librairie Fischbacher.