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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/673

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LE PEUPLE CHINOIS ET LA RÉFORME.

fonctionnaire paralyse le gouvernement, le formalisme l’entrave ; au lieu de sonder les principes que nous ont légués les Sages de l’antiquité, on ne cultive plus que le talent de la « phrase, » indispensable pour ces basses pratiques de servilité et de flatterie qui ramènent tout au moi ; le savoir ne consiste plus qu’en un clinquant de surface…, » et le reste à l’avenant. C’est cependant à la classe des personnages ainsi décrits par Sa Majesté qu’incombe la tâche de s’assimiler les sciences de l’Europe dans toutes leurs variétés et leurs applications : en sera-t-elle capable ?

Rappelons, pour arriver à bien la connaître, que le système de gouvernement qui, depuis des temps immémoriaux, prévaut en Chine et constitue comme la clef de voûte de l’édifice administratif et social, repose sur l’élévation de l’homme de lettres aux emplois publics. Des grades universitaires s’obtiennent par voie de concours, dont le premier, pour les bacheliers, se tient dans le chef-lieu de préfecture, le second, dans la capitale de province, et le troisième, pour les docteurs et le Hanlin (Académie nationale) à Pékin. Bien qu’il y ait aussi trafic des places et favoritisme, la proportion en est si restreinte qu’on peut dire qu’il n’y a d’autre voie aux charges et aux honneurs que celle de ces concours. De plus, avant de se rendre en fonctions dans un poste, tout titulaire est astreint à faire un stage dans les bureaux de la capitale. Il résulte de ce système une étiquette, une cohésion ou esprit de corps extrêmement tenace, et l’Empereur trouve avec justice que cet esprit est mal dirigé et mal appliqué en ce moment. Cette noblesse dans la nation est infatuée d’elle-même et pleine de préjugés : l’homme de lettres ne connaît que les livres et le pinceau ; toucher au plus petit travail manuel, s’occuper de détails matériels, marcher dans la rue autrement qu’avec majesté, etc., serait une dérogation : ces coutumes sont celles de tout l’Orient et nous ne devons pas y faire grande attention. Toute famille de lettrés a son mên-fong, lustre ou blason de la famille, à respecter : les hommes y sont tous lettrés de père en fils, et l’on n’y connaît qu’une carrière, celle des emplois publics ; ils vivent pour les distinctions et les honneurs dont les plus insignes planent au-dessus de leur propre personnalité sous la forme d’honneurs posthumes conférés rétrospectivement à une ou plusieurs générations d’ancêtres.

Comme on peut s’en douter d’après ces prémisses, nous nous