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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/794

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Mais il a eu deux vues fondamentales : l’une générale, l’autre spéciale à notre temps et à lui-même, dont il ne s’est jamais départi. La première est que l’événement est le seul juge d’une politique ; que ce qui importe ce n’est pas la moralité des actes mais leur succès ; il n’y a de coupable que les revers, et le vainqueur, de quelque manière qu’il le soit, a toujours raison. Les moralistes, les pontifes religieux, gardiens des lois immuables, s’inclinent devant lui, mais après avoir pour la l’orme d’abord protesté. Lui, ne se croyait pas obligé à ce protocole hypocrite de la morale ; dès sa jeunesse, il avait deviné et adoré la divinité du succès : « Le gouvernement est la force même, il faut qu’il triomphe, tant pis pour lui s’il ne triomphe pas. On n’écoute jamais ses excuses quand il explique pourquoi il n’a pas réussi. » En sa pleine maturité, il est encore plus explicite : « La guerre d’Espagne eût été juste si elle avait réussi, car la grandeur du résultat aurait absous Napoléon de la violence et de la ruse qu’il avait fallu employer[1]. »

Sa vue particulière au temps présent et à lui-même était que la Révolution, purifiée des niaiseries emphatiques ou scélérates du jacobinisme et organisée par Napoléon, a été nécessaire et suffisante ; que la supprimer est aussi impossible que la compléter ; que retourner en arrière serait aussi insensé que s’avancer au delà et qu’il avait été prédestiné, lui Thiers, par un décret spécial de la Providence, à gouverner en chef la société née de cette révolution, et que tout régime politique qui ne lui ferait pas cette part était affecté d’une imperfection irrémédiable.

Le succès étant le seul juge de la valeur des actes, il faut l’obtenir à tout prix, par les voies droites si l’on peut, par les voies obliques si cela est nécessaire ; aucun scrupule ne doit arrêter. « On subordonne ma candidature, lui disait quelqu’un, à une condition contraire à ma conviction ; je n’y puis consentir. — Pourquoi donc ? Avez-vous quelquefois entendu un enfant gâté crier : Papa, je veux la lune ? — Certainement, mon enfant, je te la donnerai. — Il se calme, puis il n’y pense plus. Faites ainsi. » La vérité ne le gênait pas plus que la justice. Avait-il intérêt à l’altérer, il

  1. Il écrivait dans le National en 1830 : « Il n’y a plus de révolution possible en France, la révolution est passée ; il n’y a plus qu’un accident. Qu’est-ce qu’un accident ? Changer les personnes sans les choses. » — Son ami Mignet complétait sa pensée : « La nation anglaise fit une modification de personnes en 1688 pour compléter une révolution de principes opérée en 1640. »