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du culte ils sont d’abord réservés, deviennent des symboles de purification, car beaucoup de pratiques religieuses de l’antiquité ont une origine hygiénique. Dans les corps de leurs morts, les Egyptiens introduisent force poudres aromatiques, baumes, essences pures ; en dépit des législateurs, l’usage des parfums s’étendit aux simples mortels : les femmes sans doute opèrent cette révolution dans les mœurs, protestent contre des chartes caduques ; le féminisme remporta en cette affaire une de ses premières victoires. Et vainement les philosophes moroses se voilent la face, se lamentent : « L’homme libre et l’esclave, quand ils sont parfumés, se ressemblent, » gémit Socrate. Les boutiques de parfumeurs deviennent à Athènes le lieu de réunion habituel ; on parfume tout : les meubles, les mets, les personnes, on asperge d’eau de rose les visiteurs ; on parfume la salle du festin, et certains raffinés y lâchent des colombes aux ailes tout humides de parfums. Chaque partie du corps a son parfum : la menthe pour les bras, la marjolaine pour les cheveux et les sourcils, l’essence de lierre terrestre pour les genoux et le cou, l’huile de palmier pour les joues et la poitrine. Cyzique était réputée pour ses iris, Naples, Capoue, pour les roses, Rhodes pour ses crocus, Thamies pour le nard et Chypre pour la vigne. Devenus les maîtres du monde, les Romains empruntèrent à la Grèce ses mœurs et ses goûts, rivalisèrent d’extravagances ; au spectacle le vélum qui couvrait le théâtre laisse suinter des eaux de senteur, on se teint les sourcils et la barbe, on parfume les aigles romaines avant la bataille. Le christianisme au contraire proscrivit les parfums, et tomba d’un excès dans un autre : mais les croisades firent connaître certains aromates, et inspirèrent le goût de les employer ; le sultan Saladin qui, en 1187, fit purifier à l’eau de rose les murs de la mosquée d’Omar, redevenue mahométane, était à la mode. La découverte du Nouveau-Monde apporta d’autres baumes. Sous les Valois le goût des parfums devient une débauche : Henri III et ses mignons ne se couchaient guère sans un masque et des gants préparés. Même orgie en Angleterre, où les gants et sachets parfumés rapportés d’Italie par le comte d’Oxford firent fureur. Un arrêt du Parlement statua que « toute femme qui aura par le moyen de faux cheveux, crépons d’Espagne, fard, fausses hanches, buses d’acier, paniers, souliers à talon ou autre artifice, entraîné au mariage un sujet de sa Majesté, sera punie des peines