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nombreux qui se prononce depuis longtemps pour l’abandon de la Pologne et qui voit avec regret les sacrifices d’hommes et d’argent que coûte cette possession. Le prince Orlof que vous connaissez bien en est un des plus fermes adhérens et, pour ma part, si j’étais Russe, je partagerais peut-être cette manière de voir. L’empereur Alexandre m’a dit une fois en propres termes : à J’ai cherché à gouverner la Pologne avec des Russes, je n’ai pas réussi… je vais essayer de la gouverner avec des Polonais. Si le succès ne couronne pas mon entreprise, je ne sais pas en vérité ce que je ferai du royaume. »

Bismarck tint le même langage à l’ambassadeur anglais Buchanan. « La Prusse ne pourrait jamais souffrir une Pologne indépendante à ses frontières. La répression de l’insurrection est une question de vie ou de mort. — Que feriez-vous si les Russes étaient battus ? — Nous devrions chercher à occuper nous-mêmes le royaume de Pologne pour empêcher qu’il s’y développe une puissance hostile à la nôtre. — L’Europe ne souffrira jamais cela. — Qui est l’Europe ? — Plusieurs grandes nations. — Sont-elles déjà d’accord là-dessus ? » Buchanan éluda et soutint que la France n’admettrait pas une nouvelle oppression de la Pologne. Bismarck mit fin à l’entretien en déclarant qu’il était inutile de discuter sur des éventualités futures (11 février 1863).

Le véritable sens de la Convention est celui donné par Bismarck. Drouyn de Lhuys n’était pas dans le vrai en y signalant une provocation au réveil de la nationalité polonaise, déjà suffisamment réveillée depuis deux ans ; Sybel n’y a pas été davantage en la présentant comme une profonde combinaison de Bismarck, qui, n’étant pas sûr de la France, se préparait un allié pour son futur conflit avec l’Autriche. Certainement Bismarck était capable d’un calcul d’une longue portée ; mais ce n’est pas ce qui l’a décidé en cette circonstance : il n’avait pas à s’acquérir une amitié dont il était assuré ; il n’a obéi qu’à une préoccupation de Prussien, veillant sur son bien qu’il craignait de voir menacé.


IV

On pressait les Cinq de déposer un amendement sur la Pologne. Henri Martin m’écrivait : « Je crois que ce serait un grand coup pour la cause que de proposer un amendement en faveur de la nationalité polonaise et de réclamer ainsi le