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et les vaisseaux d’un fort tonnage, obligés de rester au large en dehors des ouvrages de protection.

Trois quarts de siècle s’écoulèrent heureusement sans qu’on mît la main à l’œuvre ; et on se contenta de faire dans le port même des travaux de creusement de bassins, d’écluses, de quais et d’aménagement intérieur. Mais, en 1775, le capitaine de vaisseau de la Bretonnière, qui était peut-être le marin de l’époque connaissant le mieux les parages de la Manche, reprit la grande pensée de Vauban et la modifia d’une manière très heureuse. Il demanda énergiquement qu’on rejetât à plus d’une lieue au large la jetée de l’Ouest ; qu’au lieu de lui donner comme point d’appui le cap du Homet, on l’enracinât à près de 4 kilomètres plus loin, à l’Est, à la pointe de Querqueville ; qu’elle s’avançât alors résolument dans les grandes profondeurs, laissant entre l’extrémité de ses maisons et celui de la jetée de l’île Pelée une passe de 800 mètres seulement, qu’il estimait très largement suffisante pour le passage des vaisseaux en tenant compte des modifications, des déviations de route et des dérives inévitables par les gros temps. La rade aurait eu le double avantage d’être cinq fois plus spacieuse et d’être beaucoup mieux abritée contre la houle du large ; et on aurait pu effectuer sous la protection des deux grandes jetées toutes les manœuvres d’appareillage d’une flotte, qui, d’après le système de Vauban, devaient être faites en dehors et à découvert. C’était une solution grandiose et sans précédent. On la trouva d’abord extrêmement hardie, et on pensait même qu’elle dépasserait de beaucoup toutes les exigences de l’avenir. L’expérience a démontré malheureusement le contraire. On commence en effet à regretter aujourd’hui que la digue n’ait pas été établie encore plus au large, et on se demande quelquefois avec un peu d’inquiétude si l’envasement progressif qui se produit inévitablement pendant les calmes qui succèdent aux tempêtes et l’augmentation toujours croissante du nombre et du tonnage des navires n’obligeront pas, dans un avenir plus ou moins éloigné, l’adjoindre au mouillage de Cherbourg la rade voisine de Bretteville, que l’on défendrait contre les courans de marée, toujours à redouter dans ces parages, par une autre grande digue enracinée au cap Lévy.

Quoi qu’il en soit, le projet par trop restreint de Vauban fut abandonné. La direction proposée par le commandant de la Bretonnière fut adoptée dans ses grandes lignes. On décida seulement