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angoisse, avec la même naïveté. Semblable à un petit enfant, le bon Thomas va posant sa question à tous ceux qu’il rencontre. Ses richesses lui pèsent, il envie les « va-nu-pieds, » qui savent apparemment le secret dont il poursuit la découverte ; il se rapproche d’eux, coule dans la crapule, et il boit, il boit, tout en cherchant le sens de la vie, durant trois cents pages. Nous pataugeons de nouveau dans un ruisseau d’alcool, les gueux parasites s’y abreuvent aux dépens du jeune marchand. Grâce à l’heureux privilège des héros romantiques, cet or qu’il méprise et prodigue ne tarit jamais dans sa bourse. Pauvre Thomas ! Votre père littéraire vous tient pour un esprit en avance, un allumeur des fanaux, de l’avenir : et quoique - ou parce que - schopenhauérien, nietzschéen, et le reste, vous datez tout bonnement de 1830.


Jamais dans les tavernes,
Sous les rayons tremblans des blafardes lanternes.
Plus indocile enfant ne s’était accoudé…


J’en demande bien pardon à Maxime Gorky, mais la trame de son roman tenait déjà tout entière dans ces vieux vers.

N’allez pas croire qu’il blâme son fainéant de Thomas. Il l’approuve et l’oppose aux autres marchands, ces ineptes travailleurs, ces ignobles ramasseurs d’argent. Gordiéef se signale par des actions chevaleresques, telles qu’une gifle administrée au gendre du gouverneur, « un homme qui a un cordon. » Il est supérieur à ses congénères, parce que, du fond des bouges où l’on me permettra de dire qu’il fait la basse noce, il « proteste » et il « démasque. » Ce sont les deux mots à la mode dans certains milieux, en Russie. — « Quand je vois un cochon triomphant, je proteste, » - dit fièrement un des héros de M. Tchékhof. Thomas proteste contre tout et contre tous, puisque, sauf votre respect, ils en sont tous. Grâce à lui, « le saint esprit du mécontentement de la vie est descendu déjà jusque sur le lit des marchands. » Il démasque les turpitudes de ses pairs et de l’état social dont ils forment le meilleur étai. Au dénouement du récit, le riche Ilia Kononof a réuni les sommités de la ville dans un banquet, à bord du nouveau bâtiment qu’il lance sur la Volga. On échange des toasts, les vieux marchands se congratulent mutuellement de tout ce qu’a fait leur corporation pour développer la vie économique sur le fleuve. Tout à coup, le jeune