chaque voiture que l’on apercevait lui causaient un nouvel accès de terreur ; elle les croyait à sa poursuite. Il était impossible de sortir de scène plus piteusement.
Les aventures de la route vinrent la distraire. Elle était masquée et voyageait sous le nom de « Mme Dupré, » personne sans conséquence, qui dînait avec le gros des voyageurs et bavardait volontiers. Pour une Altesse, cela ne manquait pas de saveur ; un jour, dans la cuisine d’une auberge de village, un moine lui parla longuement de Mademoiselle et de ses hauts faits : « C’est une brave fille, disait le Père ; elle porterait aussi bien une pique qu’un masque. » Une femme de la cour reçut « Mme Dupré » dans son château, avec des précautions de comédie pour l’empêcher d’être découverte. Des hommes sûrs la tenaient en correspondance avec Condé, qui la suppliait de venir le rejoindre sur la frontière. Il lui écrivait : « Je vous offre mes places et mon armée ; M. de Lorraine en fait de même, et M. le comte de Fuensaldagne aussi[1]. » Mademoiselle eut assez de sens pour refuser ; mais il fallait aboutir et aller quelque part ; elle ne pouvait pas rester indéfiniment dans le mystère et le roman comique. Monsieur ne voulait pas la recevoir à Blois ; c’était une idée bien arrêtée. À Limours, sa première couchée, il s’était mis en colère contre Préfontaine, qui le priait instamment de ne pas refuser un asile à sa fille : « Non, je ne le veux pas ! Et, si elle vient, je la chasserai ! >« Tout bien pesé, Mademoiselle résolut d’aller attendre la fin de la bourrasque à Saint-Fargeau[2], dont le château lui appartenait. Elle en prit le chemin, et reçut presque aussitôt une lettre du roi lui garantissant « toute sûreté et liberté » dans la demeure de son choix. Mademoiselle fut vexée ; elle s’était figuré la cour « fort en peine de savoir où elle était. »
Au moment d’arriver, après une étape à cheval de plus de vingt lieues, la peur la reprit, l’une de ces peurs irrésistibles qu’on appelait à Paris « les paniques de Monsieur. » Malgré la lettre du roi, elle voyait en imagination tout, un corps d’armée à ses trousses, elle se voyait arrêtée, emprisonnée : « J’étais hors de moi, » écrit-elle. On avait beau la raisonner, c’en était bien fait de l’héroïnat ; l’amazone d’Orléans n’était plus qu’une pauvre femme éplorée, qui fit son entrée à Saint-Fargeau dans