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un état de terreur et de désespoir. Il était deux heures du matin : « Il fallut mettre pied à terre, le pont étant rompu. J’entrai dans une vieille maison où il n’y avait ni porte ni fenêtres, et de l’herbe jusqu’aux genoux dans la cour… La peur, l’horreur et le chagrin me saisirent à tel point que je me mis à pleurer. »

Laissons-la pleurer. Elle n’avait que ce qu’elle méritait pour sa part du mal fait par la Fronde. Quatre années d’une guerre scélérate, entreprise sous la pression d’intérêts généraux, mais dégénérée aussitôt en foire aux vanités et en chasse aux écus, avaient couvert la France de ruines matérielles et morales. Dans un seul diocèse, celui de Laon, plus de cent vingt curés avaient été contraints « de se retirer dans les villes, n’ayant plus de paroissiens ni de quoi vivre[1]. » Dans tout le royaume, les âmes, rendues molles et serviles par l’excès de fatigue et le besoin impérieux du repos, avaient pris le dégoût de l’action ; les héros de Corneille, avec leur idéal surhumain, à la Nietzsche, avaient fait leur temps : il fallait désormais aux Français des modèles moins hauts. Quand la Grande Mademoiselle revit la cour après cinq ans d’exil, elle trouva un autre monde, d’autres idées qui la liront paraître singulière, et dont elle eut le malheur de subir l’influence le jour où elle s’éprit pour Lauzun d’un amour romanesque. Nous espérons la rejoindre prochainement dans ce nouveau milieu.


ARVEDE BARINE.

  1. Enquête de 1656. La Misère au temps de la Fronde, par A. Feillet.