Mais Mohammed, fixant les arabesques dorées du tapis vert et rouge, où il se tenait assis, répondit en secouant la tête :
— Vali Seef ben Saïd, de pareilles choses nous sont défendues par la Loi. Et le calife, dont tu me cites les singulières coutumes, était, peut-être, un de ces chrétiens idolâtres, que la tradition faussée nous donne comme un adorateur du vrai Dieu. L’irréprochable Prophète n’a-t-il pas dit : « Le vin, les jeux de hasard, les statues sont autant d’abominations inventées par Iblis. Abstiens-t’en, et tu seras heureux. » — Si, docile à ton désir, j’accomplissais ce que tu me demandes, je mettrais le salut de mon Ame en question. La chose vaut qu’on l’examine. Tu connais, mieux encore que moi, étant plus vieux, les paroles de ; la Loi : « Malheur à celui qui aura peint un être vivant ! Au jour du jugement dernier, les personnages qu’il aura représentés sortiront du tableau et viendront se joindre à lui, en lui demandant une Ame. Alors cet homme, impuissant à donner la vie à son œuvre, sera la proie des flammes éternelles ! »
— Oui, interrompit vivement le vieux cheick, tu t’en tiens à la lettre même. Ce n’est pas contre les peintres qu’est lancé l’anathème, mais bien contre les idolâtres. Ce n’est pas à celui qui modèle une image qu’incombe la faute, mais à celui qui l’adore : « Allah, dit cette même Hadith que tu nie cites, m’a envoyé contre trois sortes de gens, pour les anéantir et les confondre : ce sont les orgueilleux, ceux qui adorent plusieurs Dieux, et ceux qui vénèrent les idoles. Gardez-vous donc de représenter le Seigneur, les hommes, et ne peignez que les arbres, les fleurs, et les objets qui n’ont point d’Ame. » Je sais que là, comme ailleurs, il convient de distinguer. Tu le sais, mon fils, quand il s’agit des livres, on marche parmi les embûches des commentateurs. Ce sont là des gens dangereux entre tous, et dont les idées sont plus changeantes que la surface des sables quand souffle le vent du désert. Et, par surcroît, leur nombre, plus considérable avec les jours, défie toute évaluation raisonnable. Le cheick Ibrahim, qui marqua, au temps de ma jeunesse, en cette école du Caire, source de toute lumière, me répétait souvent : « Entre l’intention et l’acte, le fossé est aussi profond qu’entre la lettre et l’esprit. On se trompe seulement sur sa largeur. En ce départ réside le principal de la sagesse des hommes. » Ecoute-moi donc, mon fils, et tiens-toi en paix. Je ne parle pas à