qu’indifférent, presque odieux. Et puis, dans sa carrière même et dans sa vie, la leçon de courage qu’il avait reçue un jour de l’auteur de la Symphonie héroïque ne lui profita point. Inégal aux épreuves de tout genre qui ne lui furent pas épargnées, froissé par l’insuccès de certaines de ses œuvres, gêné par la censure, doutant sans cosse ou désespérant de lui-même, il renonça de bonne heure au théâtre. Ni les honneurs que sa patrie rendit à sa vieillesse, ni le touchant et fidèle amour qu’il n’eut jamais le courage de reconnaître hautement et de consacrer, rien ne put apaiser jusqu’à la fin cette âme éternellement inquiète. La musique seule, la musique d’autrefois, ne cessa jamais de le charmer. Il s’enferma dans la tour d’ivoire que les mains pures de son bien-aimé Mozart avaient bâtie. L’âge vint ; comme Beethoven, Grillparzer cessa d’entendre, et, comme il avait dit de Beethoven, on put dire de lui-même à son tour : « Les épines de la vie lui avaient fait des blessures profondes et, pareil au naufragé qui se cramponne à la rive, il se réfugia dans tes bras, ô toi, sœur du bien et du vrai, leur égale en splendeur, consolatrice de la souffrance, muse de l’art, fille des cieux ! Il s’attacha fermement à toi, et, même quand la porte fut fermée, par laquelle tu entrais chez lui et tu lui parlais, quand son oreille frappée de surdité déroba ta face à sa vue, il continua de porter ton image dans son cœur, et, lorsqu’il mourut, elle était encore sur sa poitrine[1]. »
La doctrine, et je dirais volontiers la foi musicale de Grillparzer, se réduit à deux points, ou à deux articles. Plus disposé que personne à les admettre, M. Hanslick les a définis avec exactitude. Ces deux vérités, qui contiennent et soutiennent toute l’esthétique de Grillparzer, sont « l’intelligibilité en soi et la souveraineté personnelle de la musique pure, Selbstverständlichkeit und Selbstherrlichkeit der echten Musik. »
La musique pure, autrement dit la musique sans paroles, inspira toujours à Grillparzer une prédilection passionnée. Il regretta souvent de voir associer les mots aux notes, et renouveler ainsi, disait-il, le sacrilège des enfans de Dieu, quand ils s’unirent aux filles de la terre. La danse, qu’il estimait fort, lui
- ↑ Cité par M. Ehrhard.