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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/208

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servitude et de ce démembrement que Grillparzer détestait ; c’est enfin parce que Wagner lui aussi, en même temps qu’un grand musicien de théâtre, fut un grand musicien.

Grillparzer ne se contente pas de considérer dans un opéra seulement la musique : jusque dans la musique pure, il ne voit que la musique elle-même. Autrement dit, il croit, — et, sur ce point, son commentateur M. Hanslick est également son disciple, — il croit à la beauté tout objective et spécifique des sons. Il paraît être, au moins en théorie, de ceux que le regretté M. Ch. L’évêque appelait « les athées de l’expression. » Pour lui, la musique ne consiste qu’en soi, ne se comprend qu’en soi ; en elle, il n’y a rien à comprendre qu’elle-même (Selbstverständlichkeit). Ne comptant pas avec l’utile, comme l’architecture, ni, comme la peinture et la sculpture, avec l’imitation, elle est « le plus libre, le seul libre de tous les arts. » On l’a très bien dit : « La philosophie musicale de Grillparzer repose, comme toute son esthétique, sur la Critique du jugement de Kant. La liberté et le désintéressement dont Kant fait les caractères essentiels de l’art apparaissent au plus haut degré dans la musique ; elle est, de tous les arts, le plus étranger à tout but didactique ; elle est, par excellence, le seul jeu ayant sa fin en lui-même dont parle Kant. Elle est le seul art qui, sans autre but, ne cherche que lui-même, restant un jeu même dans sa gravité. Quand elle s’égare, c’est elle-même qu’elle atteint ; sans cesse en fuite, elle s’entrave dans ses propres chaînes et s’en dégage[1]. »

« La musique, dit encore Grillparzer, n’a pas de paroles, c’est-à-dire de signes arbitraires qui n’obtiennent une signification que par l’objet qu’ils désignent. Le son, outre qu’il peut être un signe, est encore une chose qui existe par elle-même. Une série de sons plaît, comme une certaine forme dans les arts plastiques, sans qu’une représentation déterminée y soit attachée ; un son discordant produit, comme la laideur dans les arts plastiques, une sensation physique désagréable, sans dire quoi que ce soit à l’intelligence… »

« Il s’ensuit que la musique doit s’efforcer, avant tout, d’atteindre ce qui est à sa portée ; qu’elle ne doit point, pour disputer aux idées exprimées par la parole l’avantage de la

  1. M. Ehrhard.