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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/260

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« Un dictionnaire sans citations est un squelette. » Dans son dernier voyage à Paris, il voulait soumettre à la compagnie le plan d’un nouveau Dictionnaire, qui aurait compris entre autres choses « les exemples tirés des auteurs approuvés. » Ce n’était pas par curiosité historique qu’il voulait les rassembler : c’était pour « former le goût. » On devait aussi, pour enrichir la langue, noter « toutes les expressions pittoresques et énergiques de Montaigne, d’Amyot, de Charron, qu’il est à souhaiter qu’on fasse revivre. » Cette idée le passionnait : il avait proposé, lui âgé de quatre-vingt-quatre ans, de se charger de deux lettres, les autres devant être distribuées entre divers académiciens (ce qui n’était pas une fort bonne méthode de travail). La maladie dont il mourut le prit le jour même qu’il comptait faire officiellement sa proposition à l’Académie. Celle-ci l’aurait sans doute acceptée par déférence pour l’illustre vieillard ; il est à croire qu’elle ne l’aurait pas mise à exécution[1]. Une œuvre de ce genre — qui, d’ailleurs, telle que la concevait Voltaire, répondait à des idées en train de passer de mode (le Dictionnaire devait être, grâce au choix et au commentaire des citations, « une Grammaire, une Rhétorique et une Poétique » — n’est guère le fait d’une compagnie : il lui faut une direction unique et personnelle. Mais, surtout, ce n’est pas un travail de compilation qu’on attend de l’Académie française : ses décisions empruntent leur valeur à la qualité de ses membres, et ne doivent pas s’appuyer sur d’autres autorités que la sienne. Le recours à des citations aurait détourné l’Académie du soin de rédiger ses exemples, et c’eût été dommage pour la connaissance de la langue.

Voltaire demandait encore autre chose dans le nouveau Dictionnaire qu’il rêvait : il voulait d’abord qu’il contînt — suivant les diverses rédactions qu’il a données de sa pensée — « l’étymologie naturelle et incontestable de chaque mot, » « l’étymologie reçue et l’étymologie probable de chaque mot, » « l’étymologie reconnue de chaque mot, et quelquefois l’étymologie probable. » C’était demander à l’Académie un travail qui n’est nullement de son domaine, et dont Voltaire, pour sa part, se serait singulièrement acquitté, à en juger par les étymologies celtiques et surtout grecques auxquelles il a cru[2]. Il est

  1. On sait que l’Académie, un siècle après, sous l’inspiration de Patin, a essayé de la réaliser, sur un plan d’ailleurs plus vaste, et qu’elle y a bientôt renoncé.
  2. Citons seulement parmi ces dernières, — qu’il fait remonter aux Grecs de Marseille, — affreux d’afronos, blesser de « l’aoriste de blapto », coin de gonia, fier de fiaros, orgueil d’orgè.