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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/466

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en lui, l’homme tout entier, et l’autre partie de la nature humaine, le cœur, le sentiment, lui a manqué à un degré non moins surprenant. » M. Friedrich, qui nous cite ce jugement de Meyer, ajoute qu’il concorde avec ceux d’autres amis et confidens intimes de son maître, le théologien Jœrg, le vénérable professeur Sepp ; mais il affirme que tous ces juges se sont trompés, et il en donne pour unique preuve une fin de lettre où l’un des futurs adversaires les plus acharnés de Dœllinger, Hergenrœther, le remercie « de la constante bienveillance qu’il lui a montrée ». Malheureusement les trois gros volumes de la biographie de M. Friedrich sont là pour réduire encore la portée de cette formule, en établissant, avec une évidence absolue, irréfutable, la vérité du jugement de Bernard Meyer. En vain on chercherait, chez l’homme que nous révèlent ces trois volumes, un seul mot de véritable « sympathie », une seule trace de cette « vie sentimentale » dont Meyer constatait l’absence chez lui. Dès sa jeunesse et à travers les quatre-vingt-dix ans de sa vie, Dœllinger n’a été qu’un cerveau toujours en travail. De là vient son manque d’égoïsme ; mais s’il ne s’aimait pas soi-même, le reste des hommes lui était plus indifférent encore ; rien au monde ne pouvait le toucher que la recherche des idées et leur discussion.

Aussi M. Friedrich nous affirme-t-il depuis les premiers chapitres de sa biographie, et ne cesse-t-il pas de nous répéter, que, pour Dœllinger, « l’état religieux n’a jamais été un but, mais un simple moyen, son seul but étant de se livrer à l’étude de la théologie. » Or, ce n’est point là, je crois, une disposition qui permette aisément à un prêtre de rester, pendant une longue vie, un humble et fidèle serviteur du Christ. « J’enseigne sans fracas de paroles, sans choc d’opinions, sans conflit d’argumens », dit le Maître à son disciple, dans l’Imitation. Et, après avoir défini comme on l’a vu le caractère de Dœllinger, Bernard Meyer ajoute, très judicieusement, que « dans un cœur où le sentiment n’a jamais eu de place, c’est chose difficile que la foi trouve une place durable. » En effet la foi de Dœllinger, de même que son être tout entier, s’est constamment identifiée à sa science théologique. Et ainsi il en est arrivé, peu à peu, à prêter à cette science un rôle et une importance extraordinaires, proclamant, par exemple, que « la théologie était la puissance devant laquelle, en dernier lieu, tous devaient s’incliner, aussi bien les chefs de l’Église que les détenteurs de la force. » Ou bien encore : « Pareille aux prophètes de l’antiquité juive, assistant et dominant le corps régulier des prêtres, il y a dans notre temps une force qui doit assister et dominer les pouvoirs réguliers :