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Il semble que les fils de saint Benoît aient toujours recherché ces voisinages aimables sous un ciel indulgent. Tandis que les fils de saint Bruno retranchent dans les solitudes alpestres leur famille hivernale, toutes les racines de l’ordre bénédictin sont napolitaines et angevines. Naples, Anjou, deux noms qu’une secrète correspondance rapproche et relie sur tant de pages de l’histoire. Dès les premières années du VIIe siècle, saint Maur, le disciple préféré de saint Benoît, vint fonder à Glanfeuil une maison filiale du mont Cassin. La tradition française, très suspecte à vrai dire, veut que saint Benoît lui-même ait émigré sur la Loire après sa mort. Son corps aurait été transporté à l’abbaye de Fleury-sur-Loire, dans le temps où les Barbares mettaient à sac le mont Cassin. — L’ordre anéanti par la Révolution s’est reformé à Solesmes ; d’ici se répandit une seconde fois, sur la France et sur l’Allemagne, le fleuve allégorique dont le blason bénédictin nous montre les flots épanchés par la tour cassinienne.

L’histoire de cette résurrection, à ne la prendre que du point de vue humain, est une magnifique leçon d’énergie. Je la rappellerai brièvement.

Le prieuré de Solesmes n’était sous l’ancien régime qu’une dépendance de l’abbaye de la Couture du Mans. La petite communauté se dispersa comme toutes les autres, en 1790, après le décret de l’Assemblée nationale qui prononçait la suppression des ordres religieux. Les derniers moines furent chassés en 1791 ; un M. Lenoir de Chanteloup acquit leurs domaines, s’installa dans la maison conventuelle, ferma l’église. Pendant quarante ans, elle ne s’ouvrit plus qu’aux rares curieux qui venaient visiter les Saints de Solesmes. Ce nom populaire a continué de désigner les deux groupes de figures sculptées qui ornent les extrémités du transept : on sait quelle place considérable ils tiennent dans l’histoire de l’art français, à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe. Les Saints échappèrent aux destructions révolutionnaires ; le rétablissement de l’ordre faillit leur être plus fatal. Sous l’Empire, le préfet du Mans revendiqua les célèbres sculptures pour la cathédrale du diocèse ; le propriétaire résista : un décret impérial, daté de 1812 au quartier général de Vilna, lui donna gain de cause. On cite souvent le décret de Moscou : celui de Vilna n’est pas moins instructif ; il nous montre le même génie presbyte, attentif de loin aux plus petits objets