Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/826

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est en partie pour ne pas augmenter la dimension de l’ouvrage ; c’est surtout, peut-être, pour démontrer la justesse de leur principe et éprouver l’application qu’ils en faisaient. Ils ont brûlé leurs vaisseaux pour s’obliger à remporter la difficile victoire qu’ils avaient annoncée. Et certainement la nécessité où ils s’étaient mis de donner aux mots très nombreux qu’on présente d’ordinaire comme synonymes une définition absolument individuelle a aiguisé leur pénétration, rendu leur méthode plus stricte et leurs formules plus rigoureuses[1].

Le classement des sens, dans l’ordre de leur évolution logique, avait été l’idée dominante d’Hatzfeld, celle qui l’avait surtout engagé à entreprendre un nouveau dictionnaire. Darmesteter la compléta par l’idée de l’évolution historique. Entre les deux idées il y eut bien quelques conflits ; mais à force d’examiner les faits sous tous leurs aspects, les deux collaborateurs finirent toujours par arriver à une conciliation. Les articles qu’ils ont consacrés à des mots d’un riche développement sémantique sont souvent de petits chefs-d’œuvre à la fois de science et de pénétration. La préface en expose le principe et explique le système dans lequel ils sont rédigés : « Enumérer les divers sens l’un après l’autre, même dans l’ordre historique et logique, au moyen d’une série uniforme composée d’autant de numéros qu’il y a de sens distincts, c’est confondre les genres, les espèces et les variétés ; c’est supprimer la subordination qui relie les variétés aux espèces et les espèces aux genres, c’est-à-dire méconnaître la loi fondamentale qui régit toute classification[2]… Nous distinguons les différens groupes de sens en traçant dans chaque article, au lieu d’une série de subdivisions de même degré, de grandes divisions, séparées les unes des autres par un alinéa et marquées par des chiffres romains (I, II, III, etc.) ; chacune de

  1. Il faut louer particulièrement, parmi les définitions du Dictionnaire général, celles qui concernent les termes techniques. On ne s’imagine pas ce qu’il y avait de petites inexactitudes et même d’erreurs grossières qui se transmettaient dans les dictionnaires antérieurs et dont Littré lui-même avait accueilli quelques-unes. La préface en donne des exemples divertissans. Toute cette partie du vocabulaire, si intéressante et si difficile à explorer, a été revue avec un soin extrême.
  2. Cette critique s’adresse, — comme beaucoup d’autres remarques de la Préface, — à Littré. Il est juste, cependant, de dire que Littré, dans l’étymologie, indique d’habitude en quelques mots la division et la subordination des sens. Voyez par exemple la note de l’article Timbre, qui, dans le Dictionnaire général, est un de ceux qui mettent le mieux en lumière le principe suivi par Hatzfeld et Darmesteter.