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Montesquieu « dans les transports des Bacchantes, » ne sont, avec leur complication d’intrigue, et avec les méprises, les surprises, et les reconnaissances qui en font les ressorts habituels, ne sont, de leur vrai nom, et avant l’invention de la chose, que de vulgaires mélodrames. Ou, si l’on veut encore, et, avec une affectation de grandeur qui n’aboutit qu’à l’endure, comme leur étalage de force n’aboutit qu’à l’horreur inutile, elles nous rappellent la tragi-comédie de Rotrou, le Wenceslas ou le Saint-Genest. Certes, on sent bien que Corneille et Racine ont passé par là : Crébillon les imite ou les copie sans vergogne. C’est son métier de faire des pièces comme un autre ferait des pendules. Mais relisons là-dessus Wenceslas ou Saint-Genest ; c’est ici la même confusion du dramatique et du romanesque ; ce sont les mêmes inventions ; c’est la même incuriosité de tout ce qui s’appelle des noms de style, de psychologie, et de vérité dans l’art. La tragédie est ramenée par les œuvres de ce bonhomme, comme qui dirait à ses premiers débuts, et non seulement, de ses illustres prédécesseurs, il n’a pas retenu les leçons, mais s’il les avait systématiquement dédaignées, on ne voit pas en quoi ses prétendues tragédies différeraient d’elles-mêmes. Le style en serait-il plus archaïque peut-être ?

Les tragédies de Voltaire, qui lui succède, son Œdipe (1718), sa Zaïre (1732), son Alzire (1736), son Mahomet (1741), sa Mérope (1743), sa Sémiramis (1748), son Orphelin de la Chine (1755), son Tancrède (1760), ne sont guère moins romanesques que celles de Crébillon, et elles ne sont pas assurément plus lyriques, mais les meilleures, ou les moins mauvaises en sont gâtées par les leçons de toute nature que le philosophe y mêle. Il faut d’ailleurs avouer que beaucoup des qualités qui sont celles d’un « dramaturge, » — d’un Scribe ou d’un Dumas père, — Voltaire les a eues, et notamment le goût ou la passion de son art (Cf. Alexandre Vinet, Littérature française au XVIIIe siècle ; Emile Deschanel, le Théâtre de Voltaire, Paris, 1886 ; H. Lion, les Tragédies de Voltaire, Paris, 1896). Sa sensibilité, très mobile, très diverse, mais réelle, et plus profonde ou moins superficielle qu’on ne le croit d’ordinaire, — nous dirions aujourd’hui plus impulsive, — l’a bien servi dans Zaïre, dans Alzire, dans l’Orphelin de la Chine, dans Tancrède. Tous les moyens que le désir de plaire à ses contemporains et de s’en faire applaudir peut suggérer à un habile homme, il les a tour à tour employés ou