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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/331

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Ils se sont enfin éveillés à demi de leur sommeil séculaire, et se pressent aux grilles de leur cachot, où rit le gai matin. « Qui donc nous relient ici prisonniers ? crie l’armée toute entière. Tous, nous voulons retourner dans notre patrie. »

Et voyez, voici qu’au milieu d’eux s’avance un vieillard bienveillant, qui conduit à ses côtés un beau jeune homme : « Sachez-le bien, proclame-t-il alors, j’ai donné à ce jeune guichetier plein pouvoir sur mes captifs. »

— Laisse-nous partir, crie la foule. — Désir enfantin et insensé ! Vous voulez donc retourner vers votre patrie, infortunés ! Votre patrie n’est plus. Vous brûlez de la revoir, pauvres tous ! Mais elle ne vous connaît plus. Votre temps est passé, écoulé, devenu légendaire.

Sur le sol paternel vil aujourd’hui une race nouvelle, différente d’aspect, de coutumes, de lois et d’institutions. Si je vous délivrais tels que vous fûtes jadis, vous n’en recueilleriez que peines, soucis, et souffrances de cœur.

J’aurai pourtant égard à votre souhait, et à votre pieux désir du retour. Tous, vous revenez votre patrie : que cette assurance vous suffise. J’ai même donné l’ordre à mon guichetier de vous renvoyer couverts de rubans et de tresses, beaux et brillans comme des fils de rois.

Mais de nouveaux vêtemens sont commandés que vous devrez à présent porter, car ils sont adaptés à la vie moderne, et conviennent au monde où vous allez paraître. Ce sont des coiffures éclatantes, des étoffes de verdure, des couronnes sur mainte tête : et non plus ces peaux de bêtes, ni ces ajustemens barbares que la mode a condamnés.

Ainsi costumés, vous pourrez retourner, vers votre foyer d’autrefois, vers la ferme, vers le puits que vous avez connus, vers le champ que vous avez labouré jadis, vers la forêt où vous avez goûté le repos après quelque expédition guerrière.

Ainsi costumés, vous pourrez retourner sur terre, pour attendre au bord du chemin, saluer les regards humains qui en sont dignes, et comprendre leur salut fraternel. Vous pourrez grimper au long des murailles, et faire des signes d’intelligence par la fenêtre : vous rassasier enfin au souffle des temps nouveaux. — Guichetier Printemps, ouvre la porte toute grande. »


C’est ainsi que Wagner fond intimement dans le vague propice de sa poésie toutes les formules de la survie que nous avons précédemment analysées. — Sa métempsycose nous offre déjà deux conséquences : communion plus intime pour le présent avec la nature pénétrée par lame des ancêtres ; espoir pour l’avenir d’une vie sentimentale prolongée au-delà du trépas dans les lieux mêmes qui furent le cadre de notre existence actuelle.


IV

Il est une autre conséquence toute naturelle de la croyance à la migration des âmes : c’est un sentiment de fraternité pour