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nubile : les unes encore insoucieuses des grands devoirs de l’avenir, mais déjà inquiètes du mystère de l’amour, souvent gauches, parfois affectées, presque toujours romanesques ; les autres, moins complexes, d’une intelligence moins ouverte, d’une sensibilité moins riche, mais actives, industrieuses, exemptes de fausse timidité, instruites de tout ce qui sied en toute occurrence, préparées à leurs devoirs de mère et d’épouse, capables d’une entière abnégation. Et je ne dis pas que l’inachevé de nos jeunes filles, leur charme qui s’ignore et se cherche, leurs enthousiasmes, leurs ferveurs, votre leurs travers, ne vaillent mieux que l’impeccable réserve de leurs sœurs japonaises, qui d’ailleurs ne leur cèdent ni en droiture ni en chasteté. Mais j’admire qu’on puisse avec si peu d’efforts obtenir ce résultat que des jeunes filles de seize ans connaissent leurs limites, ne les dépassent jamais, sachent au besoin y souffrir mort et passion par obéissance à des lois supérieures. Une modestie aussi sûre de soi me cause le même étonnement que la peinture japonaise, où la simplicité des moyens égale et renchérit encore la perfection des effets. Et qui m’objectera le pouvoir de l’atavisme, je lui répondrai que, chaque fois que naît un enfant, la nature recommence en lui, avec plus ou moins de chances, son éternel combat contre la société, et qu’au surplus, le Japon est en train de nous prouver que le relâchement d’une ou deux générations suffit à corrompre l’œuvre des siècles.


L’éducation japonaise a bien l’air de s’en remettre à la nature, mais, quand elle le fait, soyez assuré que la nature va servir à ses artifices. Le nouveau-né croît dans une liberté presque sauvage. Il n’endure point les stupides ligatures du maillot et personne ne se dérange à ses cris. La paille élastique des tatamis lui offre un excellent terrain de gymnastique et d’exploration. Quand il sort, debout, attaché sur le dos d’une mère qui travaille ou d’une sœur qui joue, trimbalé sous le soleil et sous la neige, la tête ballante et les yeux clignotans, j’imagine que le monde lui apparaît comme une chose singulièrement cahotante où le grand art consiste à tenir son équilibre. Il y acquiert non seulement de la résignation, mais surtout de l’agilité. C’est un chat et un philosophe. Il sait déjà garder le silence et saura plus tard accomplir avec souplesse toutes les figures de l’étiquette. La Japonaise doit à sa première enfance