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J’ai eu l’avantage de connaître au Japon un jeune officier appartenant à une des plus grandes familles de Daïmio. Lors de l’expédition de Formose, il y fut envoyé avec son régiment et s’y battit ferme, pendant que sa mère, dont il était le seul fils, se rendait en pèlerinage aux temples fameux pour obtenir de la divinité le salut de son enfant. Quelques mois après, on le lui ramenait mourant d’une fièvre pernicieuse. Elle le sauva, et, comme un ami de la maison l’en félicitait, la vieille princesse, agenouillée près du lit où le convalescent recommençait à sourire, les yeux baissés, mais impérieuse et droite, répondit simplement : « Si mon fils était tombé dans la bataille, j’en aurais été fière ; mais, si je l’avais vu emporté par la fièvre, je crois que j’en serais morte de douleur. »

Et je ne la trouve pas moins touchante cette grand’mère d’un de mes amis japonais, une demi-campagnarde, caduque et pauvre, qui, lorsque son petit-fils s’embarqua pour l’Europe, angoissée dans le plus intérieur de son âme, lui offrit un poignard, afin que, si jamais, là-bas, un insolent osait insulter le Japon, il l’en fit repentir sur l’heure, et sans égard à sa propre vie. La vieille paysanne, pour être plus naïve, ne pensait pas moins héroïquement que la vieille princesse.


Mais il est un héroïsme plus difficile. Un bonze japonais adressait un jour aux femmes cette parabole :

« Une jeune fille de vingt-six ans fut demandée en mariage par un veuf qui avait son père, sa mère, trois frères, trois sœurs, trois enfans. Bien qu’elle eût fort envie de tâter du mariage, elle ne laissa pas d’être intimidée par une si imposante famille, et s’en fut consulter un ermite, qu’on tenait de dix lieues à la ronde pour l’homme le plus sage de la terre.

— Je ne puis, lui dit-il, vous donner le conseil d’épouser, avant de savoir comment vous comptez en user avec les enfans, les sœurs, les frères, le père et la mère de votre époux. Recueillez-vous et revenez dans quelques jours.

Elle réfléchit durant une semaine, et décida qu’elle s’appliquerait à vivre en bons rapports avec toute sa nouvelle famille.

— Eh bien ! repartit le sage, ne vous mariez pas ou apportez-moi une autre réponse.

Derechef elle s’ingénia et revint bientôt d’un petit air d’assurance qui indiquait même une secrète fierté :