Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

importait du reste, et nous n’avions pas de préférence. Si l’un est sorti plutôt que l’autre, ce n’est pour aucune raison, sinon parce qu’il a plu ainsi à l’auteur. Le dénouement est remis à son caprice, alors qu’il ne devrait dépendre que de la force des choses. Et ce défaut, sur lequel, ailleurs, on passerait peut-être condamnation, est plus choquant dans une pièce d’une facture si serrée.

Une incertitude pèse sur la genèse de la pièce et sur son objet : illustration d’une idée morale ou simple exposé d’une situation dramatique ? L’artifice du dénouement nous laisse une déception. Mais, ces réserves principales étant faites, il reste que l’Énigme est une pièce d’un rare mérite, d’une conception originale, d’une structure neuve, d’un art sobre, vigoureux. Elle est tout en muscles, l’auteur n’y ayant voulu mettre ni chair ni sang. Elle est imprégnée d’inquiétude morale, autant que dénuée de psychologie. L’effet en a été des plus vifs.

L’interprétation de l’Énigme est très inégale. Les rôles de femmes sont bien tenus. Il n’y a que des complimens à adresser à Mme Bartet pour l’aisance et le naturel de son jeu. Elle a été jusqu’au bout la femme énigmatique qu’avait voulu l’auteur ; elle a eu, à la fin, des accens de passion vraie : c’est la perfection dans la simplicité. Mlle Brandès est excellente dans le rôle de Gisèle, dont elle fait le vivant contraste du rôle de Léonore : elle y a mis toute la franchise, la spontanéité, la sincérité qui convenaient. Les rôles d’hommes sont beaucoup moins bien tenus. J’avoue qu’il était difficile de tirer parti de celui de Vivarce, dévolu à M. Mayer : un rôle qui consiste surtout à dégringoler les escaliers et à se faire bousculer par deux hercules est éminemment un rôle ingrat. M. Silvain (Raymond) a réussi assez bien dans les passages d’émotion. M. Paul Mounet (Gérard) n’a pas joué son rôle, il l’a rugi. M. Le Bargy a été détestable. Excellent dans les rôles d’élégance, de distinction et de sécheresse, il a complètement échoué dans le rôle du marquis de Neste, qui n’est pas de son emploi. Pour donner sans doute de l’ampleur à sa voix et de la chaleur à son jeu, il a adopté une sorte de déclamation lyrique du plus fâcheux effet ; il a ajouté au texte un surcroit d’emphase et de grandiloquence. Un raisonneur n’est pas une pythonisse. Adressons d’ailleurs une fois de plus à nos grands comédiens un reproche sur lequel on ne peut se lasser d’insister : ils ne se font pas entendre. On perd une bonne partie de ce qu’ils disent ; on tend l’oreille ; on craint d’être devenu sourd ; on songe que, par une espèce d’ironie, ces artistes sont en même temps les professeurs chargés de révéler aux futurs comédiens les secrets de la diction. Mais qui leur apprendra à eux-mêmes l’art qu’ils enseignent ?