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des Romains et qu’elles se trouvent malheureuses de leur être soumises. « Si elles étaient victorieuses, dit-il, si elles restaient libres, c’est alors qu’elles auraient lieu de se plaindre » Ce n’est pas le sentiment de Tacite il n’a pas cette plénitude d’orgueil national qui fait trouver aux Romains qu’on devait se féliciter d’être leurs esclaves ; il reconnaît, au contraire, que les peuples que Rome a vaincus ont souvent raison de se plaindre, et même il a donné à leurs plaintes un merveilleux relief par la vigueur avec laquelle il les exprime. C’est chez lui, surtout dans le discours de Galgacus, qu’on va chercher les reproches dont on accable encore aujourd’hui la domination romaine : Raptores orbis.Quos non Oriens, non Occidens satiaverit.. Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant.

Il est vrai qu’en un autre endroit, il l’a défendue. La réponse aux affirmations de Galgacus se trouve dans le discours de Cérialis. C’est une des plus belles pages, des plus fermes, des plus profondes qu’il ait écrites. Cérialis est victorieux ; il vient d’entrer dans la ville de Trèves, qui s’était révoltée. Selon le droit ancien, il peut tout se permettre. Il réunit sur la place publique les citoyens tremblans et qui s’attendaient aux traitemens les plus rigoureux. Mais il se contente, pour toute vengeance, de leur démontrer, sans violence, sans menaces, qu’ils ont eu le plus grand tort de prendre les armes. Ses raisonnemens sont sans réplique. Il leur rappelle que les Romains ne sont entrés en Gaule qu’à l’appel des Gaulois, leurs aïeux, que les Germains opprimaient. Les Germains étaient alors, comme ils le sont toujours, prodigues de belles paroles. Toutes les fois qu’ils passent le Rhin, ils annoncent qu’ils viennent rendre aux Gaulois leur indépendance mais faut-il les croire ? « Tous ceux qui veulent asservir les nations voisines prétendent toujours qu’ils leur apportent la liberté. » Les Romains au moins n’ont pas pesé lourdement sur le monde vaincu. S’ils imposent un tribut aux peuples qu’ils ont soumis, c’est que, pour la tâche qu’ils se sont donnée d’assurer la sécurité publique, il leur faut entretenir des armées « or, sans armées, point de repos pour les nations ; sans solde, point d’armées, et point de solde, sans tribut. » Pour tout le reste, entre les vainqueurs et les vaincus, il n’y a point de différence. « Vous pouvez arriver à tout, leur dit Cérialis vous commandez nos légions, vous gouvernez les provinces. Quand les princes sont méchans, nous en souffrons comme vous, plus que