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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/148

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L’attitude si différente du Cosaque et de l’ouvrier vis-à-vis des Jaunes m’a semblé caractéristique : le militaire les brutalise ; le civil les protège à peu près comme les fourmis soignent les pucerons, pour les traire.

La Mandchourie du Sud, dans laquelle je roule maintenant, est décidément très peuplée. Les villages touchent aux villages, et, en certains endroits, j’éprouve une véritable impression de Beauce à voir se dérouler infatigablement, à peine dissimulée sous un léger duvet de neige, la rayure des sillons parallèles. Çà et là, des bouquets d’arbres ombragent des monticules qui sont, ici des tombes, plus loin, de simples tas de fumier. Aux approches des villes, s’allongent sur les routes de lents convois de charrettes, traînées par des attelages de six à sept petits chevaux, que dirige un charretier dont le long fouet est semblable à une canne à pêche. Aux stations flânent des centaines de Chinois, toujours prêts à rendre quelque service contre une maigre rétribution qui les fera vivre deux jours. J’ai vu, dans une gare, la scène suivante. Un soldat télégraphiste arrivé avec le train, avait à transporter sept ou huit rouleaux de fil de fer qu’on lui jeta du wagon. Il eut un moment d’hésitation : pour lui, certes, c’était un peu lourd ; mais surtout, il eût été humiliant de porter un fardeau en présence de tant de Chinois. Le soldat prit son parti : « Eh ! les Chinois ! » fit-il. Une dizaine de garçons de sept à dix-huit ans accoururent en se bousculant. — « Dix sous pour me porter cela ! « s’écria le soldat en montrant les rouleaux. Les Chinois, sans dire mot, s’attelèrent : quelques-uns se mirent à deux pour porter un rouleau. Un officier russe apparut à ce moment, et le soldat, n’osant passer devant lui les mains vides, saisit vivement un mince rouleau pour se donner une contenance. Il ne vit pas que l’une des extrémités s’était enchevêtrée dans le paquet de l’un des Chinois. Celui-ci, croyant que c’était la règle, n’eut garde de se dégager, et emboîta le pas à son « capitaine, » ce que voyant, les neuf autres Chinois se mirent docilement en file indienne. Le grand Cosaque passa ainsi, raide et saluant, devant son officier, traînant à sa suite un monôme grimaçant et grotesque. Je ne sais s’il paya ses dix sous : mais le spectacle à lui seul les valait bien...


Dans le Sud, je m’arrêtai spécialement dans trois villes : Inkoo, Dalni et Port-Arthur.