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neigeuses, qui dominent la cité future, mettent la nuance suprême à cet admirable spectacle.

Le môle, à moitié terminé, est tout encombré de neige, de matériaux de toutes sortes, et d’ouvriers chinois. De là, on aperçoit la ville en construction qui, dans le soir calme, fume de ses usines, de ses poêles, de ses chantiers, de partout, exhalant une fumée noire vers le ciel et sur l’horizon montagneux que le soleil couchant frange d’une dentelure d’or, — et cette fumée épaisse, invraisemblablement encombrante, rappelle l’industrie, la vie noire, la vie d’argent, après la poésie de la baie calme et bleue. L’impression est complète lorsque, au crépuscule mourant, je m’engage dans le quartier chinois tout moucheté de minuscules réverbères et qui évoque un souvenir de San Francisco. C’est là une image complète de cette vie ardente qui naît, grâce au fumier chinois, de la culture européenne.

Je ne me suis point lassé de visiter dans le détail ce séduisant embryon de ville qu’est Dalni : le futur parc, les jardins futurs, où l’on a laissé debout, par une négligence inconsciemment artistique, une poignée de ravissantes masures chinoises en pierres grises, ombragées d’arbres noueux entre lesquels circulent des enfans et des cochons noirs. Puis encore, j’ai vu le bel hospice de l’administration, l’église, l’école, et jusqu’au cimetière... de demain, dont la position, à l’extrémité d’une vallée et à flanc de montagne, est d’une poésie grandiose. L’idée qui a présidé à la création de Dalni est, à mon sens, une des plus frappantes qu’ait inspirées le colossal Transsibérien.


A Port-Arthur, tout change. D’abord, le climat : après deux mois de neige, je retrouve ici la boue en pleine fin de décembre. Puis, la ville. Sur de grises collines abruptes et rocailleuses, une ville chinoise s’est cramponnée, grouillante, étroite, compliquée, malfleurante. Près du port et de la gare, s’élèvent des constructions européennes ; mais tout est serré, inconfortable. Enfin, au delà d’une anse peu profonde qui découvre ses boues à marée basse, s’étend une place pelée, encombrée de monticules qu’on rase à la pelle ; sur cette place, de tous côtés, sans arrêt, on construit des casernes et encore des casernes. La future ville européenne devra se loger ici, par ordre de l’amiral Alexéiev, gouverneur général ; mais quel avantage pourra l’y attirer en plein soleil et au bord d’une mare de boue ? On