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difficile que l’on peut affirmer que le jour n’est pas proche où les Russes pourront rapidement couvrir de troupes les points menacés de leur possession asiatique.

Au point de vue commercial, cette immense voie de transit ne peut être parcourue avec avantage que par les voyageurs, la poste et enfin les marchandises qui craignent l’influence de la mer ou des tropiques.

Pour les voyageurs, il n’est nullement prouvé que l’afflux en doive être considérable, même lorsque la route sera terminée et le parcours Londres-Port-Arthur réduit à une quinzaine de jours. Je suis pour ma part revenu en vingt-deux jours de Port-Arthur à Paris ; or, je dois dire que je suis spécialement rompu aux longs trajets en chemin de fer, et que je ne m’y ennuie jamais ; j’ai voyagé, grâce à l’obligeance partout rencontrée, dans des conditions merveilleuses de confort ; j’ai eu la joie de revoir au passage des amis dans les principales stations ; enfin je sais la langue et les habitudes du pays. — Eh bien, ce trajet n’a pas laissé de me paraître un peu long. Que sera-ce pour le voyageur fortuit qui, avec de gros bagages, se rendra de Paris à Pékin ? S’arrêter en route ? Où donc ? Les villes sont à des lieues de leurs gares ; et ses bagages, qu’en ferait-il ? Évidemment, il préférera continuer sa route sans arrêt, incapable, au bout de huit jours, de l’effort de volonté nécessaire pour changer son plan. Il arrivera à destination à demi mort d’ennui, de fatigue, d’énervement ; il sera courbatu, atteint d’insomnie, amaigri et souffrant de l’estomac : il devra se reposer quelques jours. On ne l’y reprendra plus, car il est peu probable que la différence de prix entre le transport par mer et par terre soit digne d’attention. Il ne faudra pas compter se tirer du trajet Paris-Pékin à moins de 1 200 à 1 400 francs, nourriture et faux frais compris. On gagnera quelques jours, il est vrai, mais le gain ne sera guère sensible. On met, sans doute, trente-cinq jours environ pour aller de Marseille à Tien-Tsin par mer, mais en revanche, si l’on traverse les États-Unis, le trajet se réduit à vingt-cinq jours environ. Je sais d’un personnage japonais qu’il a gagné Yokohama en vingt et un jours ; moi-même, il y a cinq ans, j’ai gagné aisément Paris depuis Yokohama, en vingt-huit jours, plusieurs arrêts compris. Or, mon billet direct de première classe m’avait coûté environ 1 300 francs.

La poste serait un article plus sûr et peut-être plus avantageux