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s’adresser à une personne. Les manifestations qui se préparaient à Londres avaient à nos yeux un caractère un peu archaïque ; mais ce jqui fait battre le cœur d’un peuple ne saurait nous laisser indifférent. L’amiral Gervais, qui devait représenter notre gouvernement à Londres, y représentait vraiment la France elle-même, la France amie et bienveillante, qui faisait des vœux sincères pour l’Angleterre et pour son souverain. Rien ne pouvait gêner ici la spontanéité cordiale de notre élan. Tout d’un coup, un nuage épais et noir a obscurci l’horizon. Le roi était malade ; le roi était en danger ; une opération grave venait de lui être faite ; le couronnement était renvoyé à une date indéterminée. Quand on pense à toutes les espérances que cette fête avait suscitées, et au prodigieux mouvement matériel et moral qui s’en était suivi, on a quelque peine à mesurer la profondeur de la déception ressentie. Tout était prêt : on avait bien dit que le roi avait été indisposé, mais si légèrement qu’aucune préoccupation n’en était née. Toutefois, lorsque Edouard VII est arrivé à Londres, et qu’on a pu le voir entouré, malgré la chaleur du jour, d’un épais pardessus, un peu de surprise s’est produite. Le lendemain, le coup de foudre a éclaté. On a pu alors admirer la force d’âme que le roi avait déployée pour vaincre la maladie, affronter quand même les fatigues du sacre, et ne pas condamner l’Angleterre à des angoisses qu’il avait voulu garder pour lui seul.

Les nouvelles données depuis permettent d’espérer une solution favorable : pourtant ce n’est qu’après de longs jours, et peut-être même après une opération nouvelle, que les chirurgiens oseront se prononcer. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient faire : la vie du malade est maintenant entre des mains plus puissantes que les leurs. Certes, le péril qu’il court n’en fait courir aucun à son pays. Les institutions anglaises sont assez fortes pour qu’il n’y ait rien à craindre du dénouement, quel qu’il puisse être. Mais il y a quelque chose de si tragique dans la manière dont s’est produit l’accident dont le roi est victime, et l’Angleterre se montre si émue de son malheur, que nous ne pouvons que nous associer à sa tristesse en face de ce nouvel exemple de la vanité des grandeurs de ce monde. Heureusement le roi Edouard VII n’a que soixante ans : à son âge, les opérations comme celle qu’il vient de subir sont rarement mortelles, et, quelles que soient les appréhensions de l’heure présente, il est permis de tout espérer.


Pendant que notre Chambre des députés se livre avec beaucoup d’ardeur au travail de validations et d’invalidations de ses membres,