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que M. Waldeck-Rousseau, président du Conseil, mis au courant par lui-même du langage qu’il avait tenu, l’en avait fort approuvé, car il regardait l’affaire eomme une aventure. Et d’un ! Mais au général de Galliffet a succédé le général André. Celui-ci n’a pas fait ses confidences à un journal, il les a faites au Sénat, et il lui a dit que M. Waldeck-Rousseau lui avait à la vérité défendu d’exprimer un avis devant sa propre commission de l’armée ; mais qu’étant personnellement partisan de la réforme, il pensait bien que la commission s’en était doutée, quelque soin qu’il eût mis à garder son sentiment pour lui seul. Et de deux ! Ainsi le même ministère, qui n’avait pas délibéré sur la mesure et qui, en somme, n’en voulait pas, a eu successivement deux ministres de la Guerre, dont l’un la combattait devant la commission de la Chambre, et dont l’autre laissait entendre qu’il y était favorable devant la commission du Sénat. C’est ainsi qu’on mène nos affaires !

Quelle a été l’impression du public en face de ces allures, pour le moins équivoques, du gouvernement ? Le public, devinant la pensée que M. le général André cachait si mal, a cru que le gouvernement était pour la réforme, alors que cela n’était pas vrai ; et les élections se sont faites en partie là-dessus. Le lendemain, il a fallu acquitter la lettre de change qu’on avait signée ou endossée. On a fait un ministère dans cette vue, et M. Combes n’a pas hésité à se jeter dans l’aventure que M. Waldeck-Rousseau n’avait voulu aborder à aucun prix : il en a même fait l’article essentiel de son programme. Ab uno disce omnes ! On voit par cet exemple comment s’entament et se poursuivent chez nous les grandes réformes. Il suffit, au début, de la faiblesse, du silence et de l’inertie du gouvernement : le reste va de soi.

Est-ce à dire que la réduction du service militaire à deux ans soit impossible ? Non, et M. Mézières, pour ne citer que lui, l’a montré au Sénat avec beaucoup de clarté, de force et d’éloquence ; mais il a dû pour cela commencer par attaquer le projet de M. Rolland, ce projet que M. le général André, délivré des entraves que M. Waldeck-Rousseau lui avait imposées, a adopté tel quel. M. Mézières a fait entendre au Sénat la voix de la raison, du bon sens et du patriotisme. M. de Goulaine, M. de Larnarzelle, M. l’amiral de Cuverville, M. de Tréveneuc, M. de Montfort, M. Forgemol de Bostquénard, M. le général Mercier, et surtout M. le général Billot, qui a produit sur le Sénat une impression profonde, mais peut-être, hélas ! fugitive, tous ont attaqué la loi : on n’a trouvé d’orateurs pour la défendre que sur