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les bancs du gouvernement et de la commission. Le plus séduisant de tous, est-il besoin de le dire ? a été M. de Freycinet, président de la commission de l’armée. Il a mis les ressources du plus merveilleux talent à montrer ce qu’il croit être les qualités de la loi et à en atténuer les défauts. Sous sa main habile et légère, les difficultés semblaient disparaître comme par enchantement. Son succès personnel a été des plus vifs. A tous ces points de vue, la discussion honore le Sénat : et cependant on se demande pourquoi il en a pris l’initiative. Était-ce là son rôle ? Devait-il se le laisser imposer ? Était-ce lui qui avait promis aux électeurs la réduction du service militaire ? Cette promesse étant venue de la Chambre, pourquoi n’avoir pas laissé à la Chambre le soin de la tenir ? On aurait vu alors si les conditions qu’elle aurait mises à la réforme auraient été acceptables, ou dans quel sens il aurait fallu les modifier ? Cette réserve, de la part du Sénat, aurait été prudente et sage. Pourquoi ne s’y est-il pas enfermé ? Pourquoi a-t-il été au-devant de la plus inquiétante des responsabilités ? Et enfin pourquoi l’a-t-il fait sans aucune des précautions et des garanties dont il aurait dû s’entourer ? La première de ces garanties aurait consisté à exiger du ministre de la Guerre qu’il consultai le conseil supérieur. Le ministre l’a-t-il fait ? On le lui a demandé : il a d’abord Juré que oui, et il a ensuite avoué que non. « Je ne pouvais pas le consulter, a-t-il dit, pendant que je préparais la réforme, puisque le gouvernement de M. Waldeck-Rousseau dont je faisais partie y était contraire. Alors j’ai interrogé individuellement tous les membres du conseil supérieur, et je leur ai demandé de me donner leur avis par écrit. J’en ai pris connaissance, et j’ai définitivement fixé mes résolutions. » Si ce n’est pas là le texte, c’est le sens des explications du général André. Il en résulte qu’il a par devers lui une collection d’avis de gens instruits sans doute et compétens, mais qu’il n’a pas l’avis collectif du conseil supérieur, cet avis qui ne peut être pris et donné officiellement qu’après une délibération commune, et qui tient d’elle toute son autorité. Est-ce qu’on aurait l’avis du Conseil d’État, si on interrogeait individuellement tous les conseillers d’État ? Est-ce qu’on aurait l’avis d’une commission, d’une assemblée quelconque, de la Chambre, du Sénat, si on interrogeait leurs membres séparément sans leur permettre de discuter entre eux et de se mettre d’accord ? Mais à quoi bon insister ? Il n’est pas vrai que le général André ait consulté le conseil supérieur. Il n’a consulté que lui-même, et, comme il était depuis longtemps partisan de la réforme, aussitôt qu’il a eu ses coudées franches, il a essayé de la réaliser.