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En présence de cette situation, un des membres les plus distingués du Sénat, M. Prévet, parlant au nom d’un grand nombre de ses amis, a fait, avec une émotion et un accent sur la sincérité desquels on ne pouvait pas se méprendre, l’aveu de ses angoisses. Il avait suivi le débat avec une extrême application d’esprit, sans parvenir à fixer son opinion. Il n’était pas un spécialiste ; il ne prétendait à aucune autorité personnelle en matière d’organisation militaire ; il cherchait loyalement à s’éclairer de celle des autres : mais comment choisir entre l’autorité de M. le général André ou de M. de Freycinet d’une part, et l’autorité de M. Mézières, de M. de Tréveneuc, de M. de Montfort, de M. le général Billot de l’autre ? S’il s’agissait d’une de ces questions ordinaires qu’une assemblée tranche quelquefois de guerre lasse et sans la bien connaître, en se disant que, si une erreur est commise, elle sera toujours réparable, on pourrait se laisser aller à ce train habituel des choses. Mais, ici, le cas est tout autre. Les conséquences de la moindre faute peuvent être éternelles ; elles risquent de se traduire par des désastres, des amputations, des humiliations devant lesquelles le patriotisme reste confondu. Que faire ? Ne doit-on pas, a demandé M. Prévet, pour couvrir sa responsabilité propre, s’entourer de celle de tous les hommes compétens ? Il a proposé, en conséquence, que le débat fût suspendu jusqu’à ce que M. le ministre de la Guerre eût pris l’avis du conseil supérieur et l’eût communiqué à la commission. Était-ce trop demander ? Pouvait-on même demander moins ? La parole simple, mais vibrante et chaude, de M. Prévet a paru remuer le Sénat. Il y a eu quelques minutes d’hésitation et d’anxiété. Mais, quand on est passé au vote, la proposition de M. Prévet a été repoussée par une trentaine de voix de majorité. Le Sénat se jugeait suffisamment éclairé ; il n’avait pas besoin des lumières du conseil supérieur ; son opinion était faite. Puisse-t-il ne s’être pas trompé ! N’importe : ceux qui ont voté avec M. Prévet ont déchargé leur conscience d’un fardeau qui, si nos mauvaises destinées s’en mêlent, pourra devenir dans l’histoire infiniment lourd sur, celle des autres.

Sans entrer ici dans une discussion technique qui n’y serait pas à sa place, il faut cependant exposer les termes généraux de la question et dire comment elle se présente. Il y a deux systèmes pour réduire à deux ans la durée du service militaire : celui de M. Rolland et celui que nous mettrons sous le nom de M. Mézières, puisque c’est M. Mézières qui l’a exposé le premier devant le Sénat, et qui l’a exposé dans les termes les plus clairs. Les partisans de l’un et de l’autre