En ce pays où raffinement s’étend jusqu’au bas peuple, on s’imagine ce qu’il peut devenir chez une noble dame, de vieille famille souveraine. Mais le charme de cette Maharanie est fait par-dessus tout de bienveillance, de douceur réservée et comme il faut.
Il est fait aussi de tristesse discrète, qui se devine derrière le sourire. Et je sais l’un des chagrins qui assombrissent la vie presque cloîtrée de la reine : Brahma ne lui a point donné de fille, ni de nièce qu’elle puisse adopter ; aussi sa dynastie va-t-elle fatalement s’éteindre, et il s’ensuivra sans doute de grands bouleversemens dans ce Travancore, à peu près épargné jusqu’ici par les siècles en marche...
Nous causons de l’Europe, qui tient son imagination en éveil, et je vois qu’un de ses rêves eût été de connaître ce pays étrange et lointain, — aussi inaccessible pour elle que les contrées chimériques de la planète Mars ou de la Lune, car, au Travancore, une Indienne de noble caste, et à plus forte raison une reine, ne pourrait entreprendre un tel voyage sans encourir une déchéance irrémédiable qui la mettrait au rang des parias...
Pendant les quelques jours qu’il me reste à passer ici, j’aurai l’honneur de revoir quelquefois le Maharajah, mais plus jamais la gracieuse Maharanie, et, avant de me retirer, je cherche à graver dans mes yeux son image, qui ne semble pas appartenir à nos temps ; seules, les vieilles miniatures de l’Inde m’avaient jusqu’ici laissé entrevoir de telles princesses.
Après avoir quitté la Maharanie, je vais, sans sortir de l’enceinte brahmanique, faire visite aux fils de l’une de ses sœurs, qui sont les héritiers présomptifs du trône, après lesquels finira la dynastie.
Ils portent le titre de premier prince et de second prince, et ils ont des habitations séparées, au milieu de jardins : jeunes hommes qui attachent à leur turban des aigrettes d’émeraude, qui chassent le tigre et suivent les rites de Brahma, mais qui se tiennent au courant des choses modernes, s’occupent de littérature ou de sciences physiques. L’un d’eux, après m’avoir conduit, sur ma demande, dans la sellerie où sont les harnais de ses éléphans, me montre de remarquables photographies qu’il a prises, développées lui-même, et qu’il a eu la fantaisie ensuite d’envoyer à une exposition européenne, pour se faire médailler.
Ce soir, au déclin du soleil, j’ai voulu voir l’Océan Indien, qui, à une lieue environ de Trivandrum, déferle sur des bords déserts.