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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/404

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IXe siècle, le pays prit le nom de son apôtre ; mais Saint-Willebrode n’a été longtemps qu’une assez pauvre bourgade. C’était Mardick, aujourd’hui presque disparu et situé à 4 kilomètres environ à l’Est, qui était réellement, comme nous l’avons dit, le principal atterrage à l’époque romaine et n’a cessé de garder une certaine clientèle de marins jusque vers le milieu du Ve siècle. Le pays recevait d’ailleurs à tout moment la visite des pirates du Nord.

Ces pirates du Nord furent, pendant près de sept siècles, le fléau périodique de toute notre région littorale de la Picardie, de la Normandie et d’une partie de la Bretagne. Ils arrivaient à l’improviste, montés sur de longs vaisseaux qu’on appelait « des chevaux ou des serpens de mer, » rasaient tous les promontoires de la côte, rôdaient aux embouchures de tous les fleuves, s’enfonçaient dans tous les fiords, débarquaient un peu partout à la faveur de la nuit et de la tempête. Leurs navires, aux voiles rouges rayées de noir, aux proues élancées, et sculptées en têtes de dragons, manœuvres par des rameurs excellens, avaient bien l’aspect d’animaux fantastiques d’un autre âge, de monstres vivans ; et tantôt gravissant la crête des vagues, tantôt s’enfonçant dans le creux de la houle, semblaient se jouer du fracas des orages et du bruit de la mer. Ces invasions presque toujours à l’improviste prirent au IXe siècle une continuité qui désolait le pays. Les pirates descendaient en masse sur toutes les plages, y construisaient à la hâte des cam|)s retranchés qui leur servaient de retraites, de centres de ralliement et de points d’appui, en sortaient brusquement pour pénétrer dans l’intérieur des terres, chassaient devant eux les populations atterrées, dévastaient tout le pays, et partaient ensuite emportant sur leurs vaisseaux le butin et les femmes, laissant derrière eux une longue traînée de deuil, des lueurs d’incendie, des ruines fumantes, et des amoncellemens de cadavres autour desquels tournoyaient dans le ciel gris des spirales de corbeaux.

Saint-Willebrode en particulier, plusieurs fois pillé et rançonné, aurait complètement disparu si le roi de France, impuissant à protéger lui-même sa province de Flandre, n’eût institué pour la défendre et la gouverner en son nom de grands officiers armés de pleins pouvoirs qu’on désignait sous le nom de « forestiers. » L’un de ces forestiers en particulier ne fut pas un homme ordinaire. Jeune, beau, énergique et ne doutant de rien,