Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
452
REVUE DES DEUX MONDES.

leurs et au concert des sons, elle n’est pas seulement un témoin ravi : les spectacles de la nature ne lui sont pas extérieurs Elle sent palpiter en elle l’âme des choses et elle rêve de mêler son âme à l’âme universelle.


Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.

Je n’aurai pas d’orgueil et je serai pareille
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma sœur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été.


Se mêler vivante au mystère de la création, s’absorber dans le grand Tout, sentir son cœur se dissoudre dans le cœur animé et inconscient des plantes et des arbres, c’est sans doute le rêve qu’annonce ce titre un peu énigmatique:le « cœur innombrable, » c’est le rêve panthéiste.

Toutefois sur cette joie de l’âme qui vibre à l’unisson de toute la nature une ombre passe. Car sans doute la nature ne cessera de nous convier aux mêmes l’êtes; mais nous n’en jouirons pas toujours avec la même intensité, puisque en définitive c’est en nous que réside la cause première de toutes nos émotions. Toutes les richesses du monde ne seraient pour nous de rien sans cette faculté d’en jouir qui est en nous, mais qui, hélas ! n’y sera pas toujours égale à elle-même. La jeunesse nous quittera et à mesure se ternira cette fantasmagorie jadis si brillante. Se peut-il qu’un jour vienne où nous ne sentirons plus au printemps la sève monter aux arbres parce qu’elle aura cessé démonter en nous, un jour où nous ne trouverons plus aux fleurs le même parfum, aux fruits la même saveur ? La nature ne cessera pas de déployer ses spectacles aussi magnifiques, mais un jour viendra où nous ne serons plus là pour les contempler : nous irons, ombres vaines, aux rives où il n’y a ni soleil, ni verdure. Nos heures sont comptées et nos joies sont brèves. Raison de plus pour en savourer les rapides délices ! Et qui sait si le sentiment même de leur brièveté n’ajoute pas à leur attrait ? Elles nous sont plus chères parce que nous les devinons si près de nous échapper ! Donc réjouissons-nous, aimons, prions et mêlons nos voix pour un cantique d’allégresse et de gratitude. Le mérite des vers cordiaux, aimables et coulans de Mme la comtesse de Noailles est celui d’une poésie toute spontanée. Nul effort, nulle recherche. Mais le débordement d’une inspiration jaillissante, le frisson d’une sensibilité